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CORONAFRIQUE

OPINION : penser pour panser le Covid-19 en Afrique, une tribune de Sophonie Koboudé

La pandémie du Covid-19 a mis le monde entier à l’arrêt. Même la machine économique mondiale, qui ne connaît la tranquillité que d’intervalle (les crises économiques), peine à respirer à l’instar des humains porteurs de ce coronavirus.

Crédit Photo : SK.
Crédit Photo : SK.

Sophonie Koboudé est diplômé de l’école CentraleSupélec de Paris.

Nos évidences déversées ad nauseam, nos convictions, nos certitudes, nos consentements, “le clapotis des causes secondes” sont relégués au second plan; l’essentiel étant de vaincre l’ennemi invisible Covid-19. L’Afrique, épargnée au début de la pandémie, compte 10252 cas de Covid-19 le 07 Avril 2020 pour 492 morts selon le bureau Afrique de l’OMS. Personne ne pensait d’ailleurs que l’Afrique ne finira par être contaminée tant nos sociétés sont de plus en plus hyper-connectées. La panique est réelle. Les chefs d’Etats ainsi que les institutions se mobilisent pour amorcer la réponse africaine à cette crise sanitaire mondiale. Cette réponse pourra-t-elle se dessiner sur la méthode retenue par le reste du monde? 

L’Afrique a-t-elle les moyens du confinement?

Le confinement est une solution de bon sens car il freine la propagation du virus en empêchant les gens de se rencontrer. Mais il ne peut être la solution ultime car il ne permet pas l’immunisation des personnes confinées, qui pourront après déconfinement lancer une deuxième vague d’épidémie. En réalité, le confinement est un pharmakon. D’abord, le confinement est une méthode moyenâgeuse. Au XIVe siècle, les épidémies de variole ou de peste ont contraint les rois et décideurs de l’époque à décréter le confinement des populations. Six siècles après, n’aurions-nous rien d’autre? Tant de progrès scientifiques pour finalement louer des méthodes du Moyen-Age?

Ensuite le confinement est une méthode liberticide. La liberté individuelle dont le respect est le moteur de nos sociétés prospères se retrouve balayer d’un revers de la main au nom de la santé collective. Bien sûr, il faut sauver des vies et empêcher la propagation des virus. Très bien! Néanmoins, daignons surveiller les régressions sociales consenties en temps de crises car elles ont la fâcheuse tendance d’êtrereconduites après les crises.

Dans le contexte africain, confiner les populations se transsubstantiera inévitablement en des conflits incontrôlables. L’entrepreneuriat de subsistance, le caractère informel des économies africaines, les logements pas aux normes internationales sont autant de facteurs qui rendent impossible le confinement. Le président du Bénin, Patrice Talon l’a reconnu sans langue de bois en évoquant le risque “d’affamer tout le monde”. Au Bénin par exemple, seulement 10% de la population a un salaire (revenu fixe par mois). Interdire aux gens de sortir c’est précisément leur interdire de vivre. La capacité d’aller et de venir constitue le seul moyen d’espérer gagner sa vie, de se nourrir, de se vêtir. Les pays, dits avancés et disposant d’amortisseurs économiques bien plus solides que l’Afrique, souffrent déjà durement du confinement. Aux Etats-Unis, à New York, 40% des locataires ne peuvent déjà plus payer leur loyer. Par ailleurs, il y a un fort risque d’inflation, de double inflation voire de triple inflation avec le confinement. Premièrement, il y aura une inflation due à la hausse de la demande des produits locaux (les importations étant fortement limitées, les frontières étant fermées, les populations étant confinées). Deuxièmement, en période post-crise, les produits importés connaîtront une hausse subite au niveau de la demande, celle-ci fuyant la pression prix présente sur les produits locaux; ce qui entraînera une hausse des prix également. Et troisièmement, il faudra payer les milliards que les banques centrales sont en train d’injecter dans l’économie pour la sauver. Cela se traduira par une hausse des impôts ou une inflation, qui est en réalité une forme vicieuse d’impôt.

En somme, le confinement, s’il est une solution dans le reste du monde, reste une option difficile pour les économies émergentes comme celles de l’Afrique. Que faut-il faire ? L’Organisation Mondiale de la Santé préconise de tester massivement les populations. Il faut donc organiser le dépistage massif puis isoler les cas confirmés avec un usage compassionnel des médicaments en cours d’étude comme l’hydroxychloroquine. Le dépistage pose, bien sûr, des questions de “capacités à faire”. C’est le moment de mobiliser les réseaux diplomatiques notamment avec la Corée du Sud- qui a réussi le pari du dépistage massif- pour bénéficier des technologies de tests disponibles. Cette stratégie est préférable au confinement systématique des populations. Les dépenses exceptionnelles effectuées en ce moment doivent servir à déployer la logistique nécessaire pour le dépistage des populations car la reprise en “V” de l’économie en dépend.

L’autre enseignement de cette crise est la nécessité du changement du modèle de développement de l’Afrique. Loin des digressions utopistes chantant la “fin de la mondialisation”, il faut envisager des scénarios de reprise réalistes pour “réparer” la mondialisation afin de construire un “monde d’après” meilleur. Nos économistes qui ont été biberonnés aux principes économiques du “laisser-faire, laisser-aller” vont devoir faire évoluer leur carte mentale. C’est en quelque sorte, la revanche de Friedrich List sur Adam Smith. Cette crise démontre qu’il faut accélérer l’industrialisation des économies africaines avec un protectionnisme transitoire éducateur pour atteindre le stade “agricole-manufacturier-commercial”, l’étape ultime du progrès économique. L’insertion primaire de l’Afrique dans le jeu économique mondial la rend vulnérable. Puisse cette épisode de pandémie être très rapidement derrière nous.

Sophonie KOBOUDE, analyste au sein du think tank L'Afrique des Idées.

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