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Par Francis LALOUPO

Burkina-Faso : Inquiétante disparition

Episode spectaculaire de la liquidation des droits et libertés fondamentaux au Burkina Faso : l’enlèvement, le 24 décembre 2023, d’Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères et président du parti « Le Faso Autrement », par des éléments de la police nationale. Une inquiétante banalisation de la violence d’Etat…

 

Crédit Photo : FS.
Crédit Photo : FS.

Ablassé Ouédraogo.

On s’en souvient, en novembre dernier, AblasséOuédraogo, âgé de 70 ans, avait été informé de la décision de l’armée de le « réquisitionner ». Autrement dit, de l’envoyer combattre au front dans le cadre de la lutte anti-djihadiste, au sein des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). Une démarche vivement contestée alors par son parti, Le Faso Autrement. L’affaire, qui avait fait grand bruit, mettait singulièrement en lumière ces pratiques de réquisitions abusives visant des personnes dont lesvoix ne s’alignent pas sur celle, exclusive, du régime militaire de transition. Le 24 décembre dernier, à son retour d’un voyage à l’étranger, l’ancien ministre des Affaires étrangères et ex-directeur général adjoint de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) a été enlevé à son domicile de Ouagadougou par des hommes en armes, se présentant comme des « éléments de la police ». Depuis, AblasséOuédraogo, dont les prises de paroles ont été souvent critiques envers la junte militaire, est porté disparu. 

La loi de la force

Plusieurs figures de la société civile, des acteurs politiques, syndicalistes, et autres journalistes ont été déportés au cours des derniers mois vers les théâtres du conflit, ou sont en passe de l’être. Début décembre 2023, le tribunal administratif de Ouagadougou, saisi par des plaignants pour se prononcer sur la légalité de ces réquisitions forcées a ordonné leur « suspension », en estimant que « cet ordre de réquisition militaire est manifestement illégal et ne vise pas à défendre l'intégrité du territoire burkinabè ». Toutefois, même si les avocats des plaignants ont exprimé leur « satisfaction » à l’égard de cette décision des juges qui « montre clairement que ces ordres de réquisition étaient des atteintes voilées à la liberté d’expression des plaignants et à leur droit à ne pas être soumis à la torture morale », rien ne garantissait, au regard du climat qui prévaut dans le pays, le respect, par les autorités du pays, desconclusions du tribunal. Une crainte d’ailleurs exprimée par les avocats… 

Le kidnapping d’Ablassé Ouédraogo démontre à souhait que la loi de la force prime désormais sur le respect du droit. Il y a quelques mois, il avait alerté l’opinion sur « la violation des droits de l’homme, la répression des libertés individuelles et collectives, la suspension des activités des partis politiques, les enlèvements et les rapts de citoyens (…) toutes les réquisitions qui visent les hommes politiques, les syndicalistes, les journalistes, les acteurs de la société civile et autres, dans le but d’éteindre leurs voix… » La pratique des réquisitions forcées est bien devenue une arme de destruction massive de toute forme d’opposition au régime putschiste de Ouagadougou.

«Une crainte légitime pour sa sécurité et sa santé… »

Sans nouvelles du porté disparu, et face au silence persistant des autorités sur la question, sa famille a publié un communiqué ce 1er janvier, réclamant « la libération et sans condition » de l’ancien ministre. S’adressant aux « communautés religieuses et coutumières, aux juridictions compétentes, et à l’ensemble de la population du Burkina Faso, ainsi qu’à la communauté internationale », la famille d’Ablassé Ouédraogo exprime son désarroi, du fait de « l’ignorance du lieu où il se trouve, des motifs et des circonstances entourant sa disparition inexpliquée ». Tout en indiquant que « toutes les tentatives pour le voir ou obtenir de ses nouvelles ont été infructueuses jusqu’à ce jour », la famille exprime à travers ce communiqué sa « crainte légitime pour sa sécurité et sa santé », et exhorte « les responsables de cette disparition à prendre toutes les dispositions pour garantir son intégrité physique et psychologique. » Alors que l’inquiétude grandit quant au sort d’Ablassé Ouédraogo, l’on peut s’étonner du relatif silence qui pèse sur ces événements symptomatiquesd’un système qui s’applique à s’enraciner, irrésistiblement. Qui pourrait encore affirmer que les diverses manifestations de la violence d’Etat ne seraient réservées qu’à quelques citoyens burkinabè isolés ? Tout citoyen est désormais menacé par cette forme de violence systémique qui ne rend compte qu’à elle-même, à ses propres ordonnateurs.

Instrumentalisation de la crise sécuritaire, impositiond’une ligne unique de pensée, abolition méthodiquede l’Etat de droit et de ses premiers acquis… L’histoire semble se répéter, réactivant les scénarioset symboles des années de plomb, celles des partis uniques que l’on croyait révolues. Face à cette évidence, surtout ne pas se taire, ne pas s’y habituer… Ne pas s’habituer à la montée et aux assauts des intolérances. Ne pas s’y conformer ou s’y résigner. Ne pas renoncer à ses droits en ces temps où l’Etat de droit, la démocratie, les droits humains et le développement deviennent des mots proscrits en certains lieux. Prendre garde à la répétition de l’histoire. Se rappeler la loi des imposteursd’autrefois, experts en discours, et démolisseurs patentés de leurs pays. Se rappeler qu’au bout de cechemin, la facture fut lourde pour les populations. S’appliquer à lire dans le ventre de l’histoire, afin d’éviter d’adhérer aux funestes aventures des temps présents… 

Il faut réclamer la libération d’Ablassé Ouédraogo, maintenant. Ne pas oublier tous ceux sur qui, actuellement au Burkina Faso, plane la menace d’un ordre dangereux : membres de la société civile, acteurs politiques, intellectuels libres-penseurs, journalistes et autres ennemis désignés et potentiels d’un système archéo-liberticide. Ne pas oublierAblassé Ouédrago, et réclamer fortement et en tout lieu sa libération. En vérité, c’est bien ce combat pour le respect des libertés fondamentales, partout où elles sont en péril, qui redevient aujourd’hui une urgence révolutionnaire…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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