Publicité

Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Centrafrique : Retour à l’état colonial

Nouveau cri d’alarme sur la situation en Centrafrique, à l’occasion de la parution de l’ouvrage d’Adrien Poussou « Faustin Archange Touadéra, L'homme qui abîma son pays. » Bilan tragique d’une néo-colonie en Afrique centrale…

Crédit photo : AFP
Crédit photo : AFP

Ayant confié sa sécurité et celle de son pouvoir aux éléments du groupe russe Wagner, le président centrafricain, Faustin Archange Touadéra peut, depuis son palais, contempler le spectacle de son pays irrésistiblement livré aux vents mauvais. Un Centrafrique sans horizon pour une population dont plus de la moitié ne peut compter, pour sa survie, que sur l’aide internationale. Dans son dernier ouvragequi vient de paraître (1), Adrien Poussou, ancien ministre centrafricain de la Communication et consultant en géopolitique parle d’un « pays figé dans le siècle de la lampe à pétrole ». Et d’expliquer que «près de 44% de la population centrafricaine est aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire (…), environ 2,8 millions de personnes ont besoin d'une assistance humanitaire. En août 2024, le nombre total de personnes déplacées à l'intérieur du pays était estimé à 450 000 individus, tandis que 739 000 personnes étaient encore enregistrées comme réfugiées dans les pays voisins. La mortalité maternelle est l'une des plus élevées au monde… »

Administration coloniale

L’ouvrage d’Adrien Poussou dévoilerigoureusement le bilan clinique de la République centrafricaine après neuf années du régime Touadéra. Un exercice aussi lucide que douloureux pour cet ancien ministre qui parcourt le monde depuis des années pour alerter l’opinion internationale sur les menaces qui pèsent sur son pays. Au fil des pages, l’on comprend les constituants d’un régime qui s’est retranché dans le périmètre de son pouvoir pour s’en approprier les avantages, indifférent au sort d’une population qui ne sait plus rien attendre d’un Etat réduit à une simple abstraction. Adrien Poussou écrit : « Depuis 2016, des millions de Centrafricains n’ont pas accès à la santé de qualité, à l’eau potable, à l’électricité et à l’assainissement sans que cela n’émeuve celui qui est censé leur en garantir la disponibilité. Les ressources internes et externes mobilisées pendant toutes ces années n’ont pas permis une évolution remarquable. Elles n’ont simplement pas été allouées aux différents secteurs prioritaires pour lesquelles elles ont été mobilisées afin de soulager les souffrances de nos compatriotes et permettre de créer des centaines de milliers d’emplois, notamment en faveur des jeunes ; le régime n’a pas trouvé utile de financer un plan de soutien aux couches les plus vulnérables. Les moyens de l’État ont pris plutôt une autre direction et ont surtout servi à assurer le train de vie des membres du clan présidentiel, leur procurant un bien-être au détriment de nos compatriotes… »

Le régime de Touadéra a pris les allures d’unconseil d’administration colonial uniquement soucieux de sa seule survie, ménageant son isolement vis-à-vis de millions de Centrafricains soumis, à leur corps défendant, au statut d’indigènes. Pour conforter cette réalité, le président semble avoir ramené le Centrafrique au stade d’un comptoir colonial, dont il serait l’enthousiaste gardien. Dans cepays en pleine déshérence, l’exploitation des ressources naturelles relève de la conduitediscrétionnaire de la présidence, en association avec les mercenaires de Wagner installés sur le territoire. Un constat, parmi bien d’autres d’Adrien Poussou dans son ouvrage : « En plus de l’exploitation effrénée des ressources de la République centrafricaine tels que le bois, l’or et le diamant, les mercenaires russes de Wagner se font également payer par la vente des hydrocarbures à un prix exorbitant (…) Faustin Archange Touadera n’a trouvé rien de mieux que de permettre à ses amis russes de Wagner d’étendre leur contrôle sur un secteur aussi vital pour le pays que le secteur aurifère. Il a confié à Wagner l’exploitation de la mine d’or de Ndassima, située dans la préfecture de la Ouaka, considérée comme le plus haut potentiel industriel du pays. Selon les estimations, le gisement produit plus de quatre tonnes d'or chaque année, ce qui rapporte entre 290 millions et 1 milliard de dollars par an à Wagner… »

Wagner, cogestionnaire de l’Etat

Un protocole officieux de cogestion du pouvoir d’Etat est désormais à l’œuvre, entre la présidence et l’entité Wagner, au mépris de toutes les règles de la gestion des affaires publiques. Ouvertement devenus des acteurs de la vie politique et économique du pays, les membres de Wagner ont fait du Centrafrique un protectorat, avec le consentement graduellement consolidé du président Touadéra. Pour compléter le tableau de cette néo-colonie, les mercenaires wagnériensinstaurent un climat d’intimidation, voire de terreur vis-à-vis des populations. En plus de démontrer, en maints lieux, que leurs exigences priment sur les lois existantes dans le pays, ils ne se privent pas de recourir à des méthodes pires que la « chicotte » coloniale de triste mémoire, pour imposer à la populationleur bon droit sur le sol centrafricain. Le livre d’Adrien Poussou révèle la somme d’exactions régulièrement et impunément commises par cette milice en ce 21e siècle : « les amis mercenaires (de Touadéra) montrent chaque jour un visage de bestialité jamais atteint dans le pays et un savoir-faire inégalé dans la cruauté, massacrant impunément de pauvres civils sans défense. Par exemple, le mercredi 21 juillet 2021, on a appris, avec effroi et effarement, qu’une dizaine de corps de jeunes motos taximen et de boubanguérés (vendeurs ambulants) ont été retrouvés égorgés à 12 kilomètres de la ville de Bossangoa, sur la route de Nana Bakassa. À en croire les sources locales crédibles, les malheureuses victimes ont été arrêtées par les mercenaires de Wagner avant d’être froidement exécutées. » Tout cela se déroule sur fond d’insécurité endémique, sur un territoire dont près de la moitié s’est transformée en une zone grise durable, régie par des bandes armées…

En s’inspirant des conseils murmurés par les membres de Wagner, le dirigeant centrafricain entend bien prolonger son bail au sommet de l’Etat. Nul doute que le pyromane de Bangui se portera candidat à l’élection présidentielle prévue à la fin de cette année. Il pourrait ainsi briguer un troisième mandat, après avoir opportunément organisé une farce référendaire en 2023 pour changer la Constitution et s’appuyer sur un nouveau texte contesté, aux allures d’un décret de droit privé. Le deal Wagner-Touadéra ne saurait se fonder que sur un système de présidence à vie. Pour les intérêts bien compris des parties prenantes. 

« Il a violé l’âme de ce pays, abîmé son visage, ruiné son avenir… »

Alors que le monde regarde, sans voir, le Centrafrique sombrer dans le néant, Adrien Poussou décrit ainsi la nature du régime en place depuis mars 2016 : « De quoi le touaderisme est-il véritablement le nom ? Une absence d’exigence pour l’État de droit, un État rabaissé, méprisé, un refus ostentatoire de l’idée de l’émergence, un manque de vision claire des défis du développement, un dédain assumé de la parole donnée, la destruction systématique des services publics de base, des décisions injustes et des actes manqués. Le touaderisme est également la négation la plus complète de la souveraineté, dans son double aspect national et populaire, qui permet à la fois l’exercice de la liberté individuelle et la réalisation d’une ambition collective. »

Au cours des vingt dernières années, l’on a cessé de désigner la République Centrafricainecomme une absence d’Etat, un Etat failli, ou encore un non-Etat. Bien plus qu’un simple héritier des errements de ses prédécesseurs, Touadéra aura fait de ce qui reste de l’Etat centrafricain une néo-colonie doublée d’une redoutable kleptocratie. Avec une singulière application. En 2020, il affirmait sans retenue « l’alignement des positions du gouvernement de la République Centrafricaine sur celles de Moscou ». Aujourd’hui, il envoie des jeunes centrafricains combattre, sans espoir de retour, au sein de l’armée russe contre les troupes ukrainiennes. En décembre 2024 à Bangui, des éléments de l’armée centrafricaine, avec quelques citoyens enrôlés pour l’occasion, ont inauguré un monument à la gloire d’Evgueni Prigojine, l’ex-patron de Wagner, aux côtés deson homme de confiance Dmitri Outkine, tous deux tués dans un crash d’avion le 23 août 2023 dans de sombres circonstances. Une scène qu’on n’imaginerait même pas au cœur de Moscou. Ainsi va la vie en Centrafrique. Un pays dont le régime de Faustin Archange Touadéra a, selon Adrien Poussou, « littéralement violé l’âme, abîmé le visage, ruiné l’avenir… » Cet ouvrage est à lire pour comprendre, pendant qu’il est encore temps, toute l’ampleur du drame centrafricain. 

(1) « Faustin Archange Touadéra, L'homme qui abîma son pays - La destruction de la République Centrafricaine sous une présidence toxique ». Editions l’Harmattan

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

Commentaires (1)

Vous souhaitez pouvoir ajouter un commentaire à l'article [ÉDITO] Centrafrique : Retour à l’état colonial, ou faire profiter de votre expérience avec les internautes, ajoutez votre commentaire il sera mis en ligne après validation par notre équipe

Indiquer votre commentaire
Indiquer votre nom
Indiquer votre prénom
Indiquer votre adresse email (utilisateur@domaine.com)

*Champs obligatoire
Conformément à la loi informatique, aux fichiers et aux libertés n°78-17 du 6 janvier 1978, vous disposez d'un droit d'accès et de rectification relatif à toutes informations vous concernant sur simple demande à notre adresse.

Votre commentaire a bien été prise en compte, notre équipe vous envoi un mail de confirmation une fois mis en ligne.

Votre commentaire est en attente de modération. Voir votre commentaire

Derniers commentaires

LO
Le conservateur

😓😓😓😓😓 Triste vraiment triste et surtout malheureux pour la Centrafrique.L'histoire et la postérité jugeront l'infâme TOUADÉRA et son clan.

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.