Publicité

Par Francis LALOUPO

Togo : Confuses oppositions

Comment une nouvelle génération d’opposantstogolais en est arrivée à se rallier au logiciel de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) pour combattre le pouvoir en place qui, lui aussi,affirme partager « la même idéologie » que les néo-dictatures du Sahel. Une confusion de sens qui défie les schémas traditionnels de la conflictualité politique en Afrique de l’Ouest.

Crédit Photo : DT
Crédit Photo : DT

Image d’illustration.

Ayant succédé à son père en 2005, le président togolais, Faure Gnassingbé, a réussi à épuiser trois générations d’opposants à un régime vieux de 58 ans, de père en fils. Nombre d’acteurs de l’opposition qui avaient combattu le père, avant de se dresser contre la continuité du système, ont rendu les armes, quand ils ne se sont pas résignés à pactiser avec le pouvoir. D’autres sont tout simplement passés de vie à trépas.

Nombreux aussi sont ceux qui ont préféré un exil prolongé à une confrontation mortifère avec un pouvoir qui ne s’embarrasse pas de subtilités pour détruire ses pourfendeurs. En vingt ans, le président Faure Gnassingbé a consolidé son pouvoir, à coups de fraudes électorales, de coups de force constitutionnels et d’atteintes débridées aux droits humains. Une autocratie décomplexée qui, par ailleurs, n’hésite pas à affirmer mener le pays vers des horizons « démocratiques ». Dernière trouvaille en date de ce régime définitivement rétif au pluralisme et à l’alternance démocratique : l’instauration d’un « système parlementaire » qui a transformé le dirigeant togolais en « président du Conseil des ministres ». Une manière inédite d’officialiser le projet d’une présidence à vie. 

Panafricanisme perverti

Depuis quelques mois, le système, conduit par Faure Gnassingbé, a confirmé sa singularité en Afrique de l’Ouest, en bouleversant toutes les structures traditionnelles de confrontation entre un pouvoir en place et ses contempteurs. Tout a commencé en janvier dernier, lorsque le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, a annoncé une possible adhésion de son pays à l’Alliance des Etats du Sahel (AES), formée par les trois régimes putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Déclaration peu appréciée au sein de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui avait confié au Togo une médiation auprès de ces juntes qui ont choisi de se retirer de l’organisation régionale. 

En affirmant que le Togo et l’AES sont « liés par la même idéologie », Robert Dussey a apporté une caution équivoque à cette confédération dont les promoteurs se sont affranchis de la Cédéao afin d’établir, durablement et « souverainement », des autocraties militaires que l’on n’imaginait plus revoir dans cette région. Tout en multipliant des signaux de sympathie en direction de cette organisation, le régime de Lomé utilise cette proximité avouée avec les putschistes du Sahel comme un bouclier contre toutes les voix qui, dans l’espace Cédéao, dénonceraient ses propres dérives.

En somme, l’AES agit comme « l’idiot utile » d’un régime togolais qui porte en lui sa propre logique de putsch permanent. Pour doper cette tendance, les autocrates de Lomé ont choisi d’entonner, en chœur avec les affidés de l’AES, les couplets d’un « panafricanisme » à tout le moins perverti. La diplomatie togolaise consiste alors à demeurer au sein de la Cédéao, tout en entretenant ses accointances avec les putschistes de l’AES.  

Nouveaux opposants pro-AES

Face à cette nouvelle séquence d’un régime sans fin, les opposants de longue date sont aux abonnés absents. C’est dans ce contexte qu’a émergé,depuis peu, un courant de contestationmanifestement amputé de la mémoire de toutes les révoltes qui ont tenté depuis des décennies d’ébranler les piliers de la dictature. Optionprivilégiée par ces nouveaux opposants pour renverser le pouvoir togolais : un coup d’Etat qui raserait tout, et gratis. Avec la promesse d’une « révolution », et l’avènement d’une aube nouvelle. Pour eux, un coup d’Etat, à la manière des protagonistes de l’AES, constituerait la recette idéale pour triompher du régime abhorré.  

Sur les réseaux sociaux, ces nouveaux venus dans le cercle des opposants togolais découvrent le goût exquis de la révolte digitale. Ils célèbrent les hauts faits imaginaires de l’AES et clament que la victoire est au bout d’un coup d’Etat « panafricaniste ». Ils affirment, au-delà de tout doute possible, que le système de Faure Gnassingbé ne mérite pas d’intégrer l’AES, car incompatible avec ses « principes ». Fustigeant, à cet égard, l’imposture du pouvoir de Lomé, ils promettent de réaliser la parfaite procédure d’un changement de régime : un coup d’Etat « salutaire » sous le sceau d’un authentique « souverainisme ». Avec les compliments de l’AES. Ainsi donc se présente le postulat de cette génération d’opposants : s’inspirer des néo-dictatures militaires du Sahel pour combattre un pouvoir accusé de dérives dictatoriales. 

Chaos doctrinal

Cette structuration alambiquée de la pensée renseigne amèrement sur la grande désespérance du peuple togolais. Elle fixe, un peu plus encore, la singularité du Togo, en Afrique de l’Ouest. Après avoir usé des plus brutales formes de répressions, le pouvoir togolais réussit à faire surgir une catastrophe inédite, avec le concours involontaire de ses adversaires : un chaos doctrinal.

Ce qui se produit au Togo nous informe sur les effets des campagnes propagandistes et de la guerre informationnelle, en cours depuis plusieurs années, et dont les pays de l’AES sont devenus une matrice subrégionale. Une situation largement liée aux stratégies d’influence de la Russie sur le continent africain, exécutées par des officines affectées à cette cause, et par des individualités qui en font commerce. Nous n’avons cessé d’alerter sur les menaces que font peser ces tempêtes informationnelles orientées sur l’harmonie sociale et les communautés nationales et régionales. Fracturation des opinions, brouillage des repères, confusion cognitive… Au Togo comme ailleurs, les populations sont exposées à une crise d’un genre nouveau : une crise du sens. Cette crise envahit tous les espaces. Un laboratoire actif des désastres présents et à venir…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

Commentaires

Vous souhaitez pouvoir ajouter un commentaire à l'article Togo : Confuses oppositions, ou faire profiter de votre expérience avec les internautes, ajoutez votre commentaire il sera mis en ligne après validation par notre équipe

Indiquer votre commentaire
Indiquer votre nom
Indiquer votre prénom
Indiquer votre adresse email (utilisateur@domaine.com)

*Champs obligatoire
Conformément à la loi informatique, aux fichiers et aux libertés n°78-17 du 6 janvier 1978, vous disposez d'un droit d'accès et de rectification relatif à toutes informations vous concernant sur simple demande à notre adresse.

Votre commentaire a bien été prise en compte, notre équipe vous envoi un mail de confirmation une fois mis en ligne.

Votre commentaire est en attente de modération. Voir votre commentaire

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.