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Par Francis LALOUPO

AES : Le sondage du « complot » 


A l’occasion du deuxième anniversaire de l’Alliance des Etats du Sahel, Jeune Afrique a publié un sondage très commenté sur l’image de la confédération sahélienne au sein des opinions. Une initiative qui a, paradoxalement, alimenté les théories conspirationnistes chez les partisans des juntes néo-panafricanistes.

Crédit Photo : AFP.
Crédit Photo : AFP.

Le 16 septembre 2025 marquait le deuxième anniversaire de la constitution de l’Alliance des Etats du Sahel (AES - Mali, Burkina Faso, Niger). Dans un contexte plutôt morose, les dirigeants et partisans de cette organisation ne pouvaient espérer meilleur cadeau que celui offert par le journal Jeune Afrique. Une enquête d’opinion, réalisée pour le compte du média, par l’institut Sagaci Research en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin et au Cameroun. Résultat de ce sondage : 77 % des personnes interrogées estiment que « l’AES est une bonne ou une très bonne initiative pour la région ». Les plus enthousiastes se trouvent au Cameroun (82%), au Togo (84 %), en Guinée (80 %), ou au Bénin (78%). Toutefois, une analyse approfondie de cette enquête par ses auteurs permet d’en appréhender les nuances et la complexité…

Réalité parallèle ou alternative

Cette « bonne nouvelle » reçue par les thuriféraires de l’AES a été diffusée par le média le plus détesté des AESiens qui n’ont de cesse de le vouer aux gémonies, en l’accusant d’être un vecteur de « l’impérialisme occidental ». Dès le lendemain de la publication, le doute et la suspicion ont surgi dans les rangs des laudateurs de la confédération. Les plus zélés d’entre eux ont investi les réseaux sociaux pour alerter le monde sur les sombres intentions qui, ont-ils affirmé, sous-tendent l’initiative de Jeune Afrique. Par le canal de TikTok et YouTube, ils se sont employés à mettre en garde leur auditoire contre le directeur de la rédaction du journal, François Soudan, présenté, sans détour, comme « un espion français » et accusé d’être le principal auteur de ce « complot ».

Pour ces soldats informels de l’AES, autoproclamés « panafricanistes », le sondage en question serait une « une commande de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure - Service de renseignement extérieur français) ». Et, à tous ceux qui ne le sauraient pas, l’enquête de Jeune Afriqueaurait pour but d’« informer et avertir les dirigeants de pays voisins », tels que la Côte d’Ivoire et le Bénin. Ainsi, ces chefs d’Etat « vendus à l’Occident » pourraient, grâce à ce sondage issu de patibulaires officines, « contrôler la jeunesse » et contrer l’expansion de la « révolution » née dans les pays de l’AES. Pour conclure cette hallucinante envolée, les orateurs rappellent encore la nature et la source de ce sondage : un « complot impérialiste ». Le temps de quelques lives TikTok, ces cyber-promoteurs de l’AES se sont ainsi inspirés d’un sondage pour construire une autre « vérité ». Une réalité parallèle ou alternative. Rien d’étonnant, au fond.

Une fabrique de fables

C’est bien dans cet univers que prospère la propagande de l’AES, portée par une insolite version du panafricanisme, faite de bruit et de fureur. Une dimension inédite de la falsification du réel, de projections mythologiques et de diatribes paranoïaques. Une fabrique de fables destinées à bercer, consoler ou échauffer la bile. Un monde où le confort de l'envoûtement supplante la rigueur de la raison. Tel est l’univers de l’AES, masquant la réalité des régimes flibustiers qui l’incarnent. Aux attentes légitimes et récurrentes des populations, les pouvoirs militaires sahéliens ont trouvé la formule miracle : l’efficace potion de la propagande d’une fallacieuse « révolution ». Selon eux, il aura fallu l’avènement de leurs putschs pour découvrir les grands enjeux qui tissent l’histoire des pays d’Afrique depuis les indépendances. A en croire leur narratif, la lutte contre les impérialismes et le néo-colonialisme aurait émergé à la faveur de leurs coups d’Etat. Et, leurs propagandistes néo-panafricanistes seraient les prophètes révélateurs de la conscience des peuples…

Voilà donc la trame de la légende aux allures sectaires qui épand ses effets bien au-delà des frontières de l’AES. C’est bien cette évidence que souligne l’enquête de Jeune Afrique. Il faut reconnaître à ce même média d’avoir vu juste en signalant, dans ses colonnes, qu’« avec Ibrahim Traoré (chef de la junte burkinabè), l’Afrique est entrée dans l’ère de la post-vérité ». Il est vrai que, dans l’espace AES, l’on peut entendre le dirigeant de la junte nigérienne, le général Abdourahamane Tiani, affirmer, sans sourciller, que les « les anciens pharaons d’Egypte étaient tous des Nigériens ». Ou encore marteler, sans jamais rire, que des éléments de la DGSE française « se rendent sur chaque marché du Niger, l'un après l'autre, et achètent l'ensemble des stocks d'oignons pour déstabiliser le Niger ». Les exemples sont légion, de ces saillies délirantes qui alimentent la fiction dans l’univers AES. Mais, comme le dit l’éditorialiste François Soudan, « ne nous y trompons pas, l’AES fait encore rêver les Africains ». Et il en sera ainsi, pendant un certain temps.

La croyance et le réel

Séduits par les discours « souverainistes », ceux qui déclarent leur flamme à ces « sauveurs de l’Afrique » - à qui l’on n’en demande pas tant -, ont-ils seulement une juste appréciation de la nature de ces régimes et de leur gouvernance ? L’on pourrait relever, à travers le sondage de Jeune Afrique, uneperception romantique, de la part des personnes interrogées, du « projet » prôné par les dirigeants de l'AES. Toujours est-il que l’avènement de cette dernière installe quelques interrogations nouvelles dans le débat public. L’instrumentalisation manifeste, par les juntes sahéliennes, des rancœurs post-coloniales suffit-elle à concevoir un projet politique et les dynamiques de développement ? La fracturation de la communauté régionale provoquée par le retrait des pays de l’AES de la Cédéao, de même que leur stratégie de la tension et de la diffamation permanente à l’encontre des pays voisins sont-elles compatibles avec la doctrine originelle du panafricanisme ? L’accession au pouvoir, au moyen de coups d’Etat, constitue-t-elle un modèle politique et une avancée historique ? Soixante-cinq ans après les indépendances, la restauration d’autocraties militaires liberticides deviendrait-elle la réponse idéale et disponible aux aspirations collectives ?

Ces questionnements, parmi d’autres, mettent en évidence les contradictions entre le projet affiché de l’AES et son effet d’attraction sur une partie des opinions. N’empêche, les adhérents inconditionnels aux narratifs de l’AES sont déterminés à y croire. D’autant que dans ce contexte, la croyance supplée la démonstration du réel. Et, au-delà de la raison, les disciples des gourous néo-panafricanistes ont raison contre le monde entier…

Plus tard, probablement, les experts en diverses disciplines sauront déterminer, patiemment, les ressorts multiples de cette séquence en cours dans certains pays africains. En attendant, difficile de percevoir des signaux probants de la capacité des putschistes sahéliens à satisfaire aux attentes fondamentales des populations. Notamment en ce qui concerne la sécurité collective, la santé, l'éducation, la garantie des droits et libertés et le progrès socio-économique. Autant d’engagements ordinaires qui sont attendus des tenants du pouvoir d’Etat. La gestion des destinées nationales ne saurait indéfiniment s’appuyer sur la seule promesse des mirages, la berceuse des manœuvres communicationnelles et les inavouables vanités.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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