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Par Francis LALOUPO

Afrique de l’Ouest : L’ombre de la terreur

À l’heure où l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest est sous la menace des groupes terroristes, l’Alliance des États du Sahel (AES) en appelle à la « relance de la coopération régionale et internationale ». Quelles seraient les options disponibles, dans un contexte régional dominé par la méfiance entre la Cédéao et les voisins de l’AES ?

LSI AFRICA
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Au cœur de l’actualité en Afrique de l’Ouest, les futurs développements de l’affrontement en cours entre l’armée malienne et les djihado-terroristes du Groupe de soutien de l'islam et des musulmans (GSIM /JNIM). Difficile, en effet, de dissocier la tragédie en cours sur le territoire malien de ses possibles répercussions sur l’ensemble de la région. Cependant, l’hypothèse d’une action régionale commune se heurte à l’aventureux retrait des trois régimes militaires de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). 

« Centre de gravité mondial de la violence extrémiste… »

Déjà, la Côte d’Ivoire se trouve confrontée à un afflux exceptionnel de réfugiés maliens fuyant « des attaques perpétrées contre les civils par des groupes armés terroristes dans plusieurs localités du sud malien », selon le Conseil national de sécurité (CNS) ivoirien. En réaction à une tension inédite de la situation humanitaire, la Côte d’Ivoire renforce son dispositif d’accueil de ces réfugiés venuss’ajouter à ceux provenus du Burkina Faso. Le pays a accordé, ce 20 novembre, un statut officiel de réfugiés à près de 70 000 citoyens maliens et burkinabè. Mi-novembre, la Cédéaoa financé un projet d’assistance aux dizaines de milliers de personnes déplacées, venant principalement du Burkina Faso et du Mali. Ces actions de l’organisation régionale surplombent les vaines querelles qui ont marqué, depuis deux ans, ses relations avec les pays de l’AES qui ont fait du dénigrementpermanent de la Cédéao un projet politique…Concernée également par la pression humanitaire, la Mauritanie où quelque 450 000 Maliens ont trouvé refuge. Ici aussi, les autorités affirment leur volonté d’appliquer les vertus de la solidarité régionale. Rejoignant en cela les « bonnes pratiques » que la Cédéao« souhaite valoriser ».

Plusieurs Etats ouest-africains prennent en compte l’urgence de la protection des frontières afin de prévenir les incursions des groupes armés terroristes, ainsi que l’extension du fléau à l’ensemble de la région. A cet égard, un récent rapport des Nations confirme que « la menace terroriste ne se contente plus de ronger le cœur du Sahel, elle s’étend désormais vers l’ouest et le sud, infiltrant les zones côtières, perturbant les économies et affaiblissant l’autorité de l’État dans toute l’Afrique de l’Ouest… » Et de préciser que « la région est désormais le théâtre d'une attaque terroriste sur cinq dans le monde, et abrite plus de la moitié des victimes du terrorisme. Un basculement spectaculaire du centre de gravité mondial de la violence extrémiste ».

Les cicatrices de la rupture Cédéao-AES

Une question se pose alors : jusqu’où pourraitaller la Cédéao pour marquer sa solidarité envers les trois pays de l’AES dont les dirigeants, continuent de s’enfermer dans une logique séparatiste ? L’on se souvient de la mobilisation des Etats-majors, en 2013, pour apporter un concours militaire et diplomatique au Mali alors menacé par l’avancée des groupes djihadistes. Aujourd’hui, même si cette éventualité n’est pas officiellement évoquée, elle s’installe au cœur du débat public. En Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Nigéria ou au Bénin, la question divise lesopinions. D’un côté, il y a ceux qui en appellent à un concours sans réserve de la Cédéao, et, de l’autre, ceux qui préfèrent que l’organisation se tienne à distance, eu égard aux cicatrices de la rupture entre cette dernière et les trois pays sahéliens. Il faut dire que les autorités maliennes, malgré la pression critique du JNIM sur Bamako, continuent d’entonner les couplets d’un « souverainisme » anachronique. A ce jour, aucune délégation officielle identifiée de l’AES n’a entrepris la moindre démarche diplomatique auprès des instances de la Cédéao…

L’on s’interroge aussi sur les possibles dispositions de l’Union africaine (UA), face àl’extrême dégradation de la situation au Mali. Equation tout aussi compliquée, quand l’on sait que les trois pays de l’AES ont été suspendus de l’UA à la suite des coups d’Etat perpétrés par les actuels dirigeants. En effet, comment engager des actions de secours versces territoires administrés par des régimes sanctionnés pour « changement inconstitutionnel de gouvernements » ? Malgrécette donnée contraignante, le président de la Commission de l’UA, Mahamoud Ali Youssouf, a exprimé, dans un communiquédiffusé ce 9 novembre, sa « profonde préoccupation », tout en appelant à une « action internationale urgente » au Mali. En réponse, le ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a d’abord nié l’ampleur de la crise provoquée par le JNIM. Puis, critiquant vertement le communiqué de l’organisation panafricaine, il s’est félicité d’avoir « recadré l’Union africaine », en rejetant « toute intervention internationale au Mali ». 

« Reconstruire la confiance en Afrique de l’Ouest… »

Pourtant, au lendemain de ces déclarations, l’ambassadeur et représentant permanent du Mali à l’Onu, Issa Konfourou, s’est adressé au Conseil de Sécurité pour plaider en faveur d’une « relance sincère de la coopération régionale et internationale dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest ». S’exprimant au nom de l’AES, il a estimé que la lutte antiterroriste devrait se mener à l’échelle « régionale et internationale », avant d’insister sur la nécessité de « reconstruire la confiance entre les parties prenantes de la région Afrique de l’Ouest ». Selon Issa Konfourou, « la Confédération de l’AES est donc entièrement disposée à la coopération avec les pays de la région et l’ensemble des partenaires qui le souhaitent ».

Ces mots en ont surpris plus d’un au sein de la Cédéao, où il est entendu que la méfiance est devenue la règle entre ses instances et les juntes de l’AES. Mais l’on peut aussi comprendre que cet appel inattendu à la « coopération internationale », lancé par l’ambassadeur malien, s’inscrit dans la ligneadoptée depuis quelques semaines par la Russie. Cette dernière, rompant avec le huis-clos sulfureux avec ses partenaires de l’AES, sollicite à présent l’action de la « communauté internationale » dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. 

Faut-il pour autant en déduire que le discours de l’ambassadeur Issa Konfourou traduit un changement de logiciel diplomatique de la partdes juntes de l’AES ? L’on pourrait en douter, en écoutant l’intarissable chef de la diplomatiemalienne, Abdoulaye Diop, qui, à la suite de cet appel à l’ONU, a déclaré à Bamako : « Il ne faut pas se voiler la face, on a voulu nous faire croire que le terrorisme provient de l’extrémisme musulman ou d’autres formes d’extrémisme. Mais moi je l’affirme, au Mali et dans tout le Sahel, le terrorisme est fabriqué et soutenu par des puissances coloniales. Car le terrorisme, n’oublions jamais cela, est un instrument politique de déstabilisation employé pour faire tomber ou changer les dirigeants à la tête de nos États. » On imagine difficilement dans quelle mesure la persistance d’un tel narratif aux relents populistes pourrait stimuler les initiatives internationales pour le compte du Mali et de ses alliés de la confédération AES, dont l’exercice favori est de vitupérer quotidiennement contre des entités « impérialistes » fantomatiques. 

Alors que les zones grises suscitées par les groupes armés terroristes se multiplient au Mali, au Burkina Faso, et au Niger, une question émerge, redoutablement : les putschistes de l’AES seraient-ils devenus le principal obstacle à la résolution de la crise sécuritaire en Afrique de l’Ouest ?

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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