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Par Francis Laloupo

Guinée - Conakry : L’imposture référendaire

Le 21 septembre prochain, quatre ans après le coup d’Etat qui a renversé le régime du Président Alpha Condé, les Guinéens se prononceront par référendum sur une nouvelle Constitution. Une étape déterminante vers un retour à l’ordre constitutionnel. A la veille de cette consultation, la rupture de confiance semble consommée entre la junte guinéenne et les forces vives du pays.

Crédit Photo : AFP
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Mamadi Doumbouya,

Après son coup d’Etat du 5 septembre 2021, legénéral Mamadi Doumbouya, à la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), s’est évertué à présenter son administration comme une exception dans la galaxie des régimes putschistes de la région. Tout en manifestant son soutien à ses « frères d’armes » qui ont pris le pouvoir par la force dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES - Mali, Burkina Niger), il a tenu à s’en distinguer en affichant sa volonté de respecter scrupuleusement les engagements consignés dans la Charte de la transition. Le 21 février 2023, il avait juré de « ne pas rester un jour de plus, après les deux ans de transition ». Nous en sommes à la quatrième année…. 

Ayant courtoisement décliné l’offre d’intégrer l’AES, tout en réaffirmant son attachement à la Cédéao, il a su se tenir à l’écart de l’agenda des voisins sahéliens et de leurs incantations prétendument souverainistes. La promesse faite aux Guinéens de mettre en œuvre une « politique du résultat », consistait notamment à amorcer durant la période de transition un redressement de l’économie nationale. Pour y parvenir, MamadiDoumbouya et le CNRD ont opté pour une gestion orthodoxe du pouvoir d’Etat, unepolitique économique pragmatique et une diplomatie sans exclusive. Mais, en dépit de ces promesses un temps saluées par la population, le CNRD n’a pas su résister à la tentation du pouvoir sans terme. Après avoir été acclamée par la foulepour avoir mis fin aux dérives mortifères du régime renversé, la junte guinéenne tente, à son tour, de reproduire le tragique scénario de l’accaparement du pouvoir d’Etat. 

L’essence du pouvoir militaire

A sa manière, et sans y paraître, le CNRD n’a cessé, au cours de la transition, de poser les actes propres à toute dictature militaire. Désespérément prévisible, la funeste propension à la confiscation des leviers du pouvoir. Pour réaliser ce dessein, le régime du général Doumbouya aura produit tous les actes constitutifs d’un autoritarisme émergent :culte de la personnalité, répression systémique, restriction des libertés fondamentales, anéantissement de la liberté d’expression, suspension des formations politiques, privatisation de l’Etat et du système électoral, exclusion du débat public de toutes les voix discordantes et non autorisées… A l’image de tous les pouvoirs militaires, celui de Guinée ne déroge pas à la règle : la violence d’Etat constitue son essence et sa justification. A présent, le CNRD ressemble furieusement aux régimes de l’AES dont il voulait tant se démarquer. 

L’un des signaux annonciateurs du nouvel ordreprojeté par le CNRD a été dévoilé dans un discours prononcé par le général Doumbouya à la tribune des Nations Unies le 21 septembre 2023. Un discours incisif et critique sur l’état de l’Afrique et du monde, toutefois assombri par la dénonciation d’une démocratie prétendument « importée d’ailleurs », et l’appel à l’avènement d’une inintelligible « démocratie à l’africaine »…L’irrésistible attrait du populisme… On retient aussi de ce discours, cet extrait, involontairement prémonitoire : « Le putschiste n'est pas seulement celui qui prend les armes, qui renverse un régime. Les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font l'objet d'aucune condamnation, ce sont aussi ceux qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la Constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir » L’on pourrait donc définitivement appliquer cette définition du « putschiste » à la personne du chef de la junte guinéenne, dont le clan s’apprête à proposer aux Guinéens une nouvelle Constitution issue de son inspiration et destinée à lui ouvrir le chemin vers une candidature à la présidentielle. Alors que la Charte de la transition interdit aux membres de la junte de se porter candidats aux futures électionsgénérales, les ministres du CNRD opposent à ladite Charte la primauté de la nouvelleConstitution qui n’interdit pas à MamadiDoumbouya de briguer la magistrature suprême. Imparable théorème…

Selon quelques rares citoyens qui ont pu accéderau texte qui sera soumis à référendum, plusieurs articles auraient dû être proposés à un examen plus approfondi et à des débats publics, avant d’être portés dans cette future Loi fondamentale. On retient notamment l’article relatif à la durée dumandat présidentiel, passant d’un quinquennat à un septennat renouvelable une fois. A ce propos, le juriste guinéen Robert Sarah Mano, dans une tribune publiée fin août, écrit : « Dans un pays où l’expérience démocratique vacille, l’extension d’un mandat peut facilement devenir un outil de concentration du pouvoir (…) Les prolongations de mandats produisent incontestablement des effets négatifs sur la stabilité démocratique, affaiblissent les contre-pouvoirs, fragilisent l’alternance et suscitent des tensions sociales. »

Etat de crise…

Parmi les électeurs appelés aux urnes le 21 septembre prochain, combien d’entre eux auront pris connaissance du texte de cette Constitution ? Une fois encore, les Guinéens sont donc appelés à se prononcer sur un texte dont ils ne connaissent ni le détail, ni les finalités. Les débats contradictoires étant pratiquement interdits, aucun espace public n’a été aménagé pour en vulgariser le contenu, et explorer les tenants et aboutissants d’un texte qui devrait tenir lieu de contrat social pour les prochaines années. Il n’est donc pas superflu de rappeler qu’en Guinée, les histoires de Constitution finissent mal en général.  

Il y a cinq ans, la même question s’était posée lors d’un autre référendum constitutionnel destiné à prolonger frauduleusement le mandat du dirigeant déchu Alpha Condé. Aux lendemains de cette consultation ayant abouti à la victoire contestée du « oui », la situation s’était transformée en une farce mauvaise. Le texte proposé au vote des Guinéens avait été ensuite remanié en secret, reformulé et complété de nouvelles dispositions. En somme, la Constitution promulguée ne correspondait plus au texte initial. Face à cettevraie-fausse Constitution, l’Ordre des avocats avait alors dénoncé une « délinquance juridique ».Sans pour autant émouvoir un pouvoir qui sera renversé l’année suivante par le coup d’Etat de Mamadi Doumbouya. 

La Guinée s’achemine-t-elle, une fois encore, vers un simulacre référendaire ? Ainsi que l’écrit Robert Sarah Mano, « le vote du 21 septembre ne sera pas le simple aboutissement d’une transition, mais le prélude de décennies à venir. Il décidera si la Guinée choisit l’option du progrès inscrit dans la Loi fondamentale, ou si elle bascule dans une forme de permanence autoritaire subtilement déguisée sous les habits de la légalité constitutionnelle…» A Conakry, en attendant le référendum, il règne un climat d’état de crise.L’impressionnant déploiement des forces de l’ordre est destiné à empêcher les manifestations et endiguer toutes les formes de contestation. Les jours actuels ressemblent à s’y méprendre à ceux que les Guinéens ont connu en 2020, à la veille de l’aventureux référendum initié alors par le Président Alpha Condé, afin de consacrer le projet d’une présidence à vie. Un sentiment de recommencement qui rappelle cruellement aux Guinéens que les mêmes causes produisent bien souvent les mêmes effets.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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