Par Francis LALOUPO
Mali : Danse avec le djihad
Après l’instauration d’un régime militaire à durée indéterminée, comment la junte malienne a, malgré elle, créé les conditions de la conquête du territoire par les djihadistes du Groupe de soutien de l'islam et des musulmans.
- Politique

Crédit Photo : DT
Général Assimi Goïta.
La junte au pouvoir à Bamako, après avoir transformé son putsch en une captation pérenne de l’Etat, est en train de céder le pays, à son corps défendant, à la pire des alternatives : le règne de l’extrémisme violent. Actuellement, l’on ne s’interroge plus sur les capacités du Groupe de soutien de l'islam et des musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaida, à étendre sa loi à la capitale à Bamako. Il le démontre déjà, d’une manière aussi spectaculaire qu’inattendue : le djihad du carburant.
L’emprise du djihad conquérant
Ayant soumis, au moyen des armes, plusieurs localités du pays à son autorité et ses règles, le GSIM, dirigé par le Malien Iyad Ag Ghali, a entrepris, depuis plusieurs semaines, une méthodique opération d’asphyxie de la capitale Bamako, en organisant la plus grave pénurie de carburant jamais connue dans le pays. Combinant ainsi la loi des armes et ledjihad économique, les promoteurs de la Charia comptent bien réaliser, dans un proche avenir, l’ultime offensive leur permettant de revendiquer la conquête du territoire. En Afrique de l’Ouest, l’opinion assiste, tétanisée, à cette situation qui prend les allures d’un véritable cas d’école. La seule question qui compte à présent est de savoir de quels ressorts – militaires, politiques et humains – dispose le Mali pour contrer la sidérante emprise du djihad conquérant.
Déjà, le GSIM déploie les termes de son administration. En plus de bloquer les importations de carburant, ses éléments prennent le contrôle des axes routiers menant à Bamako, comme autant de pans conquis du territoire malien. Multipliant les violences à l’encontre des transporteurs routiers, ils imposent désormais le port du voile aux femmes en déplacement sur les routes conquises. Aux récalcitrantes, la promesse du fouet et autres châtiments hautement symboliques de l’ordre du djihad.
Et, que fait donc la junte de Bamako face à l’irréfrénable péril ? Son attitude varie entre le déni et l’émission de propos dilatoires et de commentaires oiseux. Sans compter lesbravades insensées, comme celle du Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, préposé aux incantations et autres invectives, qui a bruyamment déclaré à ses concitoyens le mois dernier : « Même s’il faut aller chercher le carburant à pied avec des cuillères, nous allons le faire ». Dans un tel contexte, le propos n’a pas fait sourire les Bamakois qui choisissent à présent de déserter la capitale pour échapper aux conséquentes prégnantes de la crise de l’énergie.
« L’avantage politique » du GSIM
Manifestement le rapport de force a basculé en faveur du GSIM. S’étant offert un bail illimité, la junte s’est montrée plus soucieuse d’entretenir les dividendes de son coup d’Etat que de produire pour l’armée malienne les moyens de la performance. Ce faisant, elle n’a pas su évaluer les capacités d’expansion des entités terroristes. Mais elle aura surtout choisi d’ignorer la dimension politique de sa confrontation avec les Groupes armés terroristes (GAT). Ces derniers, face aux auteurs d’un coup d’Etat, ont, au cours des dernières années, reformulé la justification de leur « guerre », en affirmant combattre désormais un « pouvoir illégitime » installé à Bamako. En somme la conflictualité s’est traduite par la confrontation entre deux « illégitimités », l’une installée au palais présidentiel à Bamako, l’autre dans le périmètre mouvant du djihad. Dans cette logique, le contexte politique issu du coup d’Etat de 2020 aura servi politiquement la « cause » du GSIM et d’autres GAT. Cet« avantage politique » ainsi conçu par le GSIMa, à coup sûr, dopé ses prétentions et favorisé l’implantation de quelques califats-pilotes dans certaines contrées du Mali, face à une junte impuissante.
C’est l’occasion de rappeler une fois encore ici, ce que nous ne cessons de signaler depuis deux décennies, à savoir que le terrorisme se nourrit essentiellement de la fragilité des Etats et de l’instabilité des institutions. Un Etat instable dépourvu de toute légitimité élective constitue une proie désignée pour les groupes terroristes. Les coups d’Etat ont accru la vulnérabilité du Mali, et rendu problématique la légitimité de l’Etat. Par comparaison, le Nigéria confronté au fléau du terrorisme, s’est montré déterminé, au cours des dernières décennies, à opposer une constante consolidation de sa démocratie aux assauts du groupe Boko Haram dont le projet est de détruire et remplacer la forme actuelle de l’Etat…
La junte, alliée objective des djihadistes
La junte malienne se sera comportée comme une alliée, certes involontaire, mais assurément objective de la terreur djihadiste. Elle a multiplié les actes et pratiques qui ont aboli les frontières entre un Etat de droit et le totalitarisme islamiste. En officialisant une rupture avec le système démocratique et en instaurant une autocratie militaire ouvertement liberticide, les putschistes de Bamako ont forgé des passerelles « idéologiques » entre eux et les djihadistes, adversaires déclarés de toute forme de démocratisation. Le pouvoir militaire, bien malgré lui, s’est finalement révélé, sous la conduite du général AssimiGoïta, comme la garde avancée et l’ouvrier-aménageur du territoire convoité par les terroristes. Il aura préparé aux promoteurs du djihad qui n’ont jamais dissimulé leur projet et ses règles, le terrain qu’ils s’activent, à présent, à occuper pleinement. En ce mois d’octobre, l’un des porte-parole du GSIM, Bina Diarra, a formulé ses « remerciements » au général Assimi Goïta pour avoir interdit l’activité des partis politiques et supprimé la tenue d’élections au Mali. Le groupe terroriste a annoncé « la fin de la démocratie et des droits de l’homme, et l’application de la Charia sur l’ensemble du territoire malien ».
Peut-on encore sauver Bamako ? De quels moyens disposent les militaires au pouvoir pour endiguer la saisissante progression du GSIM ? Qu’en est-il aujourd’hui de la fameuse « montée en puissance de l’armée nationale » dont se flattait la junte après le départ réclamé de la force Barkhane, et le renvoi aventureux de la mission onusienne Minusma ? Où se niche donc la « force unifiée » tapageusement annoncée par les trois juntes de l’AES, et censée combattre le djihadisme ? A quels pays de la région faire appel pour venir au secours du Mali, quand l’on sait que le régime militaire, à l’instar de ses associés de l’AES, a fait de l’animosité envers les Etats de la Cédéao le socle de son pouvoir ? Enfin, que sont devenus les miliciens russes d’AfricaCorps – anciennement Wagner – face à l’offensive du GSIM ? Leur discrétion souligne, s’il en était besoin, qu’ils n’avaient pas pour projet d’aller périr au Sahel. Et, en guise de divertissement, ils ne se privent pas, sur leur chaîne Télégram, de dénigrer abondamment leurs « collègues » de l’armée malienne, avec un racisme décomplexé, et une ostensible jubilation.
A force de vilipender des ennemis imaginaires – intérieurs et extérieurs – pour servir sa propagande, le pouvoir militaire de Bamakoaurait-il négligé son engagement initial qui consistait à combattre les véritables menaces sécuritaires, voire existentielles, présentes sur le territoire ? A présent, les Maliens sont pris en étau entre une junte brutale et liberticide et l’ombre projetée de la terreur djihadiste. Inapte à la gestion du pouvoir d’Etat, le régime putschiste de Bamako, au bout de son aventure, est peut-être en train d’offrir à ses concitoyens un cauchemar plusieurs crans au-dessus d’un coup d’Etat : un rendez-vous avec les escadrons de l’apocalypse…
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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