Par Francis LALOUPO
Mali : Une si grande solitude
Face à l’offensive djihadiste, de quelles ressources – politiques, diplomatiques, militaires - peut encore disposer la junte malienne pour préserver ses concitoyens du pire ou de l’imprévisible ?
- Sécurité

Crédit Photo : DT
Image d’illustration.
A quoi ressemblera le Mali dans quelques mois ? Quelles seront les prochaines étapes de l’agenda du Groupe de soutien de l'islam et des musulmans (GSIM /JNIM) affilié à Al-Qaida ? En quelques semaines, la stratégie d’asphyxie de la capitale Bamako engagée par le groupe djihadiste a produit des effets dévastateurs. Il a dévoilé l’impuissance et l’impréparation du pouvoir militaire face à cette offensive. L’activité économique et le quotidien des Maliens sont soumis aux discrètes« négociations » menées par la junte au pouvoir avec les opérateurs du JNIM qui régulent, selon leur bon vouloir, le blocus sur les importations de carburant. Alors que l’on s’interroge sur les suites de cet épisode crucial, le JNIM se satisfait de la démonstration de son influence sur le territoire malien et au sein de l’opinion internationale.
« L’imprévisibilité de la situation… »
Pour nombre de Maliens, l’instauration de la Charia ne relève plus de l’hypothèse. Les djihadistes affichent leur capacité à en faire un nouveau chantier politique. D’autant que, dans plusieurs localités désertées par l’Etat, les populations se soumettent déjà à leur autorité. Toutefois, rien n’indique que le JNIM,pourtant convaincu de son avantage, aspire à s’emparer des leviers du pouvoir d’Etat. Pour l’entité terroriste, rien ne presse. Il est vrai que le temps djihadiste procède de son propre rythme…
Le monde regarde le Mali basculer. Les Etats-Unis, la France, le Royaume Uni, l’Italie, ou encore l’Australie, ont invité leurs ressortissants à quitter sans délai le Mali. Expliquant sa décision, l’ambassade américaine a indiqué que « les perturbations continues dans l’approvisionnement en essence et en diesel, la fermeture d’institutions publiques comme les écoles et universités à travers le pays, ainsi que le conflit armé en cours entre les forces gouvernementales et des groupes terroristes dans les environs de Bamako contribuent à accroître l’imprévisibilité de la situation sécuritaire dans la capitale ». « L’imprévisibilité de la situation » signifiant ici que le pire est désormais possible au Mali. Plusieurs chancelleries semblent s’être convaincues del’inéluctable catastrophe. La discrétion de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) traduit sa difficulté à communiquer avec les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES - Mali, Burkina Faso, Niger) qui, depuis leur rupture avec l’organisation régionale, n’ont eu de cessed’accuser leurs voisins d’agressions et complots imaginaires.
A noter, l’embarras des Nations Unies vis-à-vis du régime putschiste malien qui avaitréclamé en 2023 « le retrait sans délai » de laMinusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Un acte inconséquent, parmi d’autres, destiné à alimenter une suspecte propagande « souverainiste » et qui, en réalité, participait d’une stratégie de confiscation durable du pouvoir d’Etat. A l’heure actuelle, c’est auprès de l’ONU que la Russie a décidé de plaider l’assistance de la « communauté internationale » en faveur du Mali, reconnaissant que son concours dans ce contexte a atteint ses limites.
L’absence des alliés de l’AES
Diplomatiquement démuni face à l’encerclement terroriste, la junte malienne, dirigée par le général Assimi Goïta, hésite entre le déni et la diversion. La chef de la junte promet des « lendemains meilleurs » à ses concitoyens, tout en les invitant à « réduire les courses » afin d’économiser le carburant. La perle du déni revient, sans conteste, au ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop. Expert en vérités alternatives, il n’a pas hésité à déclarer que « la pénurie de carburantest une situation artificiellement créée ». Dans ce contexte inflammable, le régime s’est employé à réactualiser la feuille de route de ses cyber-propagandistes. Ces derniers propulsent à présent sur les réseaux sociaux un narratif qui minore la crise, et pointe, jusqu’à l’absurde, l’ignoble « impérialisme », forcément complice des djihadistes.
Plus surprenant toutefois, le silence des deux autres pays de l’AES, le Burkina Faso et le Niger. D’ordinaire volubile, le chef de la junte burkinabé, le capitaine Ibrahim Traoré, alias IB, semble peu inspiré pour s’exprimer sur la crise en cours au Mali. Occultant la tragédie de Bamako, le capitaine IB a accueilli, début novembre, une délégation de 700 afrodescendants venus d’Europe, des Etats-Unis et des Caraïbes. L’occasion pour le putschiste burkinabé de se livrer à son exercice favori : un show oratoire ponctué d’éloges du « panafricanisme » et d’exhortations à la « lutte contre l’impérialisme ». Celui qui a transformé son putsch en une « révolution progressiste populaire », a confié à l’auditoire conquis : « Nous luttons pour l’Afrique. Nous luttons pour l’Homme noir. Nous luttons pour la dignité de l’Afrique ». A ce train, il pourrait bientôt annoncer la création d’une secte…
Pendant ce temps, au Niger, le général Abdourahamane Tiani, à la tête du régime militaire, semble bien trop préoccupé par les urgences économiques. Alors que l’Etat peine à verser les salaires de ses agents -enseignants, militaires, agents de santé… – la junte de Niamey a annoncé, fin octobre, une multitude de taxes imposées à plusieurs secteurs d’activités. Effarant, un « appel à la solidarité nationale », à l’adresse notamment des élèves nigériens incités àverser 100 francs CFA en soutien au « fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie ».Ladite contribution s’étend désormais à l’ensemble des citoyens. L’amère rançon d’une fallacieuse « révolution »…
S’agissant de l’agenda sécuritaire, le généralTiani s’enferre dans la fiction des périls extérieurs. S’adressant récemment à ses troupes, il a, une fois de plus, évoqué les « menaces » provenant de pays voisins. Imperturbable, il a informé son auditoire du débarquement récent d’un « porte-hélicoptèresamphibie » ayant accosté au port autonome de Cotonou, avec, à son bord, « des milliers (!) de soldats français ». Et, avant d’inviter son armée à la « vigilance », il a précisé qu’il s’agissait du dixième débarquement d’un « porte-hélicoptères amphibie français » repéré à Cotonou. Ce genre de propos, aussi lunairesoit-il, a forgé, depuis deux ans, le socle d’un pouvoir illégal.
Après l’euphorie des discours propagandistes, le réalisme politique s’impose irrésistiblement aux néo-dictatures de l’AES. Les trois dirigeants putschistes qui avaient juré partager « une vision commune » de la gestion de l’Etat, y compris sur le plan sécuritaire, sont irrésistiblement sollicités par leurs agendas endogènes respectifs. Etait-il seulement possible de prétendre à une uniformisation des politiques de ces trois pays marqués par leur fragilité, par la création précipitée d’une « congrégation d’Etats » ne reposant sur aucune programmation historique ? Au cœur de cette aventure, une fabrique du mensonge.
Le Mali, seul au monde face aux djihadistes ? Ce 10 novembre, le Président de la Commission de l’Union africaine (UA), Mahmoud Ali Youssouf, réagissant à la situation en cours au Mali, a appelé à « une réponse internationale forte, coordonnée et cohérente pour lutter contre le terrorisme et l'extrémisme violent au Sahel ». Peut-être que le dernier mot reviendra aux populations maliennes qui, dans un sursaut collectif,pourront exprimer leur refus de se soumettre au projet des djihadistes. Peut-être aussipourront-ils transformer l’actuel danger en opportunité pour exiger du pouvoir militaire le retour à un ordre constitutionnel ordinaire et à une gestion orthodoxe de l’Etat, tel un rempart face aux prétentions du djihadisme. Peut-être sauront-ils à nouveau défendre les intérêts existentiels du Mali, sur une scène régionale et internationale que le pouvoir militaire s’est appliqué à présenter comme la source de tous leurs maux. Peut-être, enfin, que l’imprévisible n’est pas certain…
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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