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Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Mali : Séquence critique

Difficultés économiques et budgétaires, gouvernance hypothétique, retrait de la Minusma et conséquences, état de guerre entre les Forces armées maliennes associées aux mercenaires de Wagner, et les groupes armés du nord, jusqu’ici contenus par l’accord de paix de 2015. Tournant critique dans une transition aux issues incertaines…  

Crédit Photo : PRM
Crédit Photo : PRM

Assimi Goïta.

Même les plus fervents soutiens de la junte au pouvoir ne cachent plus leur pessimisme, s’agissant de l’issue de la transition et de la capacité des dirigeants du régime militaire à « éviter le pire pour le pays ». Il faut dire que les motifs d’inquiétude ne cessent de s’accumuler dans les domaines sécuritaire et socio-économique. Les langues se délient, et les mêmes qui vantaient les mérites des putschistes il y a peu encore confient désormais, mezzo voce, qu’« il est temps de sortir de cette transition ».

Comment ?

Dans un soupir, des interlocuteurs se contentent de me répondre : « Il faut maintenant prier pour le pays ». L’hypothèse du chaos… Equilibres économiques fragilisés La crise énergétique aux racines anciennes qui prive des millions de Maliens de la fourniture d’électricité souligne un peu plus chaque jour une gestion lacunaire de l’Etat. Le caractère inédit de la fréquence des délestages et de la distribution aléatoire du courant électrique jette, si l’on peut dire, une lumière crue sur une réalité économique particulièrement alarmante. La crise de la fourniture d’électricité se double d’une dette insurmontable de la société d’Etat Energie du Mali (EDM) pratiquement menacée de banqueroute.

A cela s’ajoute les scandales de gestion au sein cette société, révélé récemment par la ministre de l’Energie et de l’Eau, Bintou Camara, qui a condamné publiquement des actes délictueux, allant des vols de carburant aux pratiques de surfacturations… Des « mauvaises habitudes » dont les conséquences sont devenues plus sensibles dans un pays aux équilibres économiques dangereusement fragilisés. Comme un seuil critique des difficultés économiques auxquelles sont confrontées les populations, la crise de l’électricité semble marquer les limites d’un pouvoir militaire qui, depuis trois ans, s’est davantage appliqué à produire des discours destinés à galvaniser ses zélateurs, plutôt qu’à mettre en œuvre un projet économique et social, en mesure de garantir à l’ensemble des citoyens la satisfaction des besoins ordinaires. Il faut bien en conclure que ce pouvoir d’exception n’a pas vocation à inscrire un tel projet dans son agenda.

Autre sujet de préoccupation, et non des moindres, la situation sécuritaire. Ayant toujours montré sa défiance à l’égard de l’accord dit « de paix et de réconciliation » de 2015 qui avait, en quelque sorte, gelé le conflit entre les groupes armés (ex rebelles irrédentistes) signataires de cet accord et le pouvoir central, l’actuel régime a multiplié ces derniers mois les signes de sa volonté d’en découdre avec ces entités armées. Il faut dire que le statu quo créé par l’accord de paix profitait à ces dernières qui, au fil du temps, se sont installées dans la confortable idée d’une co-gestion informelle du territoire avec le pouvoir central. Depuis 2015, une partie de l’opinion malienne n’a cessé de dénoncer, à juste titre, cette forme de duplication territoriale. Aujourd’hui, alors que le pays est  exposé à toutes les fragilités, il faut s’interroger sur la pertinence de la stratégie que la junte militaire a choisi de mettre en œuvre pour remédier à cette situation.

Le Rubicon de l’expulsion de la Minusma

Pour le régime issu de deux putschs consécutifs, la lutte – « revue et corrigée » - contre les groupes armés non étatiques fut soumise à quelques préalables : la rupture de toute coopération militaire avec la France et autres partenaires européens, le retrait du Mali du dispositif sécuritaire G5 Sahel, et, concomitamment, le recours à la coopération russe, à travers les mercenaires du Groupe Wagner. Ce sont ces derniers qui, murmurant à l’oreille de l’exécutif militaire, l’a incité à franchir le Rubicon : l’expulsion de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), installée depuis dix années à la demande des autorités maliennes. Ainsi convaincue de l’idée que l’équation sécuritaire pouvait se résoudre dans un huis-clos exclusivement régi par l’armée malienne et ses associés de Wagner, la junte a confié à son ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, la mission de mettre en scène l’expulsion de la Minusma du sol malien. Ce qui fut fait le 16 juin 2023 devant le Conseil de sécurité de l’Onu, dans l’un de ces discours aussi enflammés qu’excessifs dont Abdoulaye Laye est désormais coutumier.

Dénonçant « l’échec » de la Minusma, Abdoulaye Diop avait alors lourdement jeté l’anathème sur cette mission onusienne, affirmant que cette dernière « semble devenir une partie du problème malien » avant d’avancer que la « souveraineté nationale du Mali » serait confortée par la fin de la présence de la Minusma sur le territoire malien. Un tel argument qui pourrait sous-entendre que le Mali ne serait plus membre de l’Onu, est d’autant plus incommodant que plusieurs Casques Bleus africains ont payé de leur vie leur engagement dans la Minusma. Faisant suite à la demande des autorités maliennes, et conformément aux règles et usages des Nations Unies, le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité, fin juin 2023, la résolution 2690 mettant fin au mandat de la Minusma.

Une résolution qui stipulait une cessation immédiate de ses opérations et la fin du processus de son retrait au 31 décembre 2023. Ayant pris acte de cette résolution, la Minusma a donc entrepris progressivement son retrait du Mali. Avec des conséquences immédiates sur une situation sécuritaire déjà fortement préoccupante. Il faut rappeler que juste après l’annonce du départ de la force onusienne, les groupes irrédentistes cosignataires de l’accord de 2015, réunis au sein du CSP-PSD « Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement », après avoir averti que « le retrait de la Minusma rendrait caduc l’Accord de paix de 2015 », avaient signalé que le gouvernement de transition « se prépare, avec ses alliés russes, à nous faire la guerre ». Ce qui se confirme aujourd’hui sur le terrain, à mesure que la Minusma se retire de ses bases dans le nord où elle était chargée de veiller au respect du cessez-le-feu et des compromis sécuritaires contractés entre le gouvernement et les groupes armés dans le cadre de l’accord de paix. En octobre, le départ de la Minusma des emprises de Tessalit et Aguelhok dans la région de Kidal, a été suivi d’affrontements entre les FAMA (Forces armées maliennes) accompagnés des mercenaires de Wagner, et les ex-rebelles du CSP-PSD. Les belligérants se disputent l’occupation de ces emprises jusqu’ici « tenues » par la Minusma et dont le pouvoir central revendique la restitution. 

La crainte du vide

Après une évaluation des conditions matérielles de son retrait des sept bases qu’elle occupait, la Minusma a signalé dans la région de Kidal un « contexte sécuritaire extrêmement tendu et dégradé, mettant en danger la vie de notre personnel ». Selon la porte-parole de la Mission, Fatoumata Sinkou Kaba, certains membres de ce personnel en cours de rapatriement ont déjà subi par endroits « des attaques à la mine artisanale qui ont fait des blessés et des dégâts matériels ». Partant de ce constat, la Minusma a décidé de modifier son calendrier et d’anticiper son retrait, qui pourrait intervenir en novembre 2023, bien avant la date butoir de fin décembre prévue initialement. Surprise : ce retrait anticipé n’est pas du goût des autorités qui, par la voix du ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, ont déploré un départ précipité, préjudiciable, selon elles, aux plans de reconquête par l’armée malienne des emprises évacuées par la Minusma.

Le même ministre qui avait, sans nuance, réclamé à l’Onu « un retrait sans délai » de la mission onusienne, semble dire désormais : « Partez, mais hâtez-vous lentement ». Navrantes extravagances d’une gouvernance sans boussole. La junte pourrait-il, à présent, craindre le vide, après avoir frénétiquement chassé toutes les forces invitées qui, au cours des dix dernières années, ont contribué à éviter le pire au Mali ? Au bout de l’état d’exception, se profile une guerre aux issues incertaines pour les FAMA et leurs associés de Wagner.

La configuration conflictuelle qui se dessine actuellement dans le nord du Mali s’annonce pire que celle observée en 2012, date référentielle de la crise sécuritaire dans le pays. Une guerre qui constitue objectivement une aubaine, aussi bien pour les groupes armés irrédentistes, que pour toutes les entités terroristes confondues, djihadistes ou franchisés Etat islamique et Al Qaida… La permanence de la guerre alimente leur raison d’être. Une aubaine aussi, pour ceux qui, tels des apprentis-sorciers au sein du gouvernement, misent sur une guerre longue pour prolonger davantage encore la période de transition censée prendre fin en 2024. Cette hypothèse pourrait toutefois se heurter au mur des exaspérations et des impatiences qui s’expriment de plus en plus au sein de la population, y compris chez certains « simples soldats » de l’armée nationale…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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