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Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Mai en Putschland

Dissolution des partis et regain de demande de démocratie au Mali ; show planétaire auto-promotionnel du chef de la junte burkinabè sur fond d’offensives des groupes terroristes ; consécration de néo-dictatures russocrates… Chroniques des jours ordinaires en Putschland.

 

Crédit Photo : AFP.
Crédit Photo : AFP.

Au Mali, comme nous l’annoncions le mois dernier, les autorités ont donc procédé à la dissolution des partis politiques. Actuellement, seule la junte est habilitée à exercer des activités politiques, consacrant ainsi ce que nous n’avons cessé de souligner ici depuis plusieurs mois : l’instauration d’une autocratie militaire. Cependant, une partie notable de la population ne compte pas s’en tenir au fait accompli. La dissolution des partis a fait ressurgir la demande démocratique. Nombre de Maliens, qui semblent s’extraire soudainement d’un cauchemar éveillé, refusent de voir s’évanouir ce qui, imperceptiblement, a imprégné cette société depuis la révolution de 1991 : le projet d’ancrage d’une culture démocratique qui, par paradoxe, aura conduit aux funestes coups d’Etat. 

Tragique démonstration de la restauration de ce qui s’apparente, de fait, à un système parti unique : l’effarant festival des arrestations et détentions arbitraires, l’interdiction des manifestations populaires, l’effacement de toute liberté d’expression et toute forme de contestation. Dans ce pays miné par l’insécurité et confronté à des crises multidimensionnelles, la junte s’attelle à la consolidation des attributs d’un pouvoir illégitime. Ses ambitions semblent prévaloir sur l’urgence sécuritaire, alors même que des sources validées par l’ONU alertent sur les violations des droits humains dont le nombre a augmenté d’environ 120% entre 2023 et 2024. Ces violences perpétrées à l’encontre de civils sont attribuées aussi bien aux groupes armés terroristes qu’à l’armée appuyée par les éléments du groupe Wagner.

« Un long et sombre tunnel… »

Par-delà l’impact politique, la dissolution des partis entraîne une confrontation aux contours encore indéterminés entre le régime militaire et une partie de la population effectivement exclue de la décision publique. Quelles seront les prochaines évolutions de ce nouveau périmètre de conflictualité ? Cet épisode de l’actualité politique malienne complique un peu plus encore la situation générale dans un pays menacé d’extrême précarité. La junte aura réussi en quelque cinq années, à faire émerger un Mali douloureux, un désert économique sans la moindre perspective de progrès social. L’agenda des putschistes de Bamako est destiné à ne servir que leur seul projet. Pour y parvenir, plutôt que d’œuvrer à l’harmonie sociale sur leur territoire, ils ont choisi de s’appuyer essentiellement sur la cynique et aventureuse caution des hooligans du Kremlin. 

Portant un regard averti sur la situation au Mali, le journaliste guinéen Boubacar Sanso Barry écrit, sur le site Le Djely : « Le pays entre ainsi dans un long et sombre tunnel, dont nul ne sait ni quand ni comment il sortira. (…) Ce qui se passe actuellement au Mali n’est, hélas, qu’un nouvel épisode d’une tragédie qui continue de hanter le continent africain : des bonds en arrière incessants, des pseudo-héros toujours appelés à décevoir, des lendemains qui déchantent, aussitôt les espoirs exprimés. Le plus affligeant et comique à la fois, c’est que ceux d’aujourd’hui, imbus d’eux-mêmes et sans doute convaincus de leur exception, croient réinventer la roue. Que nenni ! » 

Ce 16 mai, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a exhorté le chef de la junte malienne, le général Assimi Goïta, à « abroger ce décret draconien ayant dissous les partis politiques et à rétablir pleinement les droits politiques ». Et de rappeler que « toute restriction de la participation politique doit être conforme aux obligations internationales du Mali en matière des droits humains ». Nul doute que les autorités en treillis de Bamako se montreront indifférentes à cet appel, au nom d’une prétendue « souveraineté » qui se traduit par un huis-clos de la tyrannie ordinaire.

IB, « sauveur » virtuel de l’Afrique

Pendant ce temps, au Burkina Faso… Une question : le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte burkinabè, est-il réel ? La question se pose depuis le déferlement d’actions de propagande orchestrées à grands frais depuis Ouagadougou et destinées à célébrer l’homme présenté comme le « sauveur de l’Afrique ». Rien que ça… Dans une récente campagne de communication, en ce mois de mai, le culte de sa personnalité pulvérise tous les standards jusqu’ici répertoriés dans les régimes autocratiques. Le capitaine Ibrahim Traoré, dit IB, ne recule devant aucun artifice pour la construction de sa réalité alternative et la confortation d’une néo-dictature émergente. L’intelligence artificielle est mise à contribution pour créer un IB augmenté : l’illustre architecte d’un Burkina Faso brillant de mille feux, aux horizons parés d’une vertigineuse modernité. L’opération, qui ne craint nullement le ridicule, franchit tous les paliers de l’audace, pour s’étendre au-delà des frontières du Burkina Faso, et même du continent. Des artistes de renom - réels ou virtuels - sont sollicités pour alimenter et propulser les slogans pro IB, afin que nul, dans le monde, n’en ignore. 

La manœuvre a pris des allures inattendues dans des pays anglophones d’Afrique où des artistes et autres influenceurs vantent les hauts faits – jamais constatés – du capitaine Traoré. En France, aux Etats-Unis ou aux Antilles, des personnes bien réelles célèbrent ce super héros virtuel « au service du peuple noir ». Sur TikTok, l’opération inspire des thématiques loufoques, tel que « IB est-il le nouveau leader du monde libre ? » La réponse est, bien entendu, comprise dans la question. IB a fait du palais présidentiel la scène d’un spectacle permanent, et du pouvoir d’Etat un jouet d’adolescent. 

Amplification des attaques terroristes

L’ahurissante discordance entre cette campagne de promotion personnelle et la réalité de la situation au Burkina Faso a suscité une vague d’articles dans la presse internationale qui a entrepris d’en déceler les ressorts. Dans le quotidien Libération, Maria Malagardis souligne notamment que « rarement un tel usage excessif de propagande numérique aura été observé, faisant du Burkina Faso un cas d’école, déjà repéré par de nombreux sites de fact checking en Afrique de l’Ouest… » Et de constater que « cette offensive numérique relèverait aussi d’une campagne coordonnée de désinformation, relayée par toute une galaxie de comptes panafricanistes populistes. Sans oublier l’indéfectible allié russe d’un régime devenu de plus en plus dictatorial. Multipliant les arrestations et les enlèvements de toute voix critique. Mais bien incapable en revanche de juguler les groupes jihadistes qui infligent de retentissantes défaites aux forces armées. » 

Le contraste est en effet saisissant entre la jubilatoire campagne de communication du capitaine IB et la situation sécuritaire du pays où les attaques des groupes terroristes atteignent une ampleur inédite. Après s’être rendu à Moscou, début mai, pour la commémoration de la victoire du peuple soviétique sur le nazisme, le « sauveur de l’Afrique » a été réduit au rôle de spectateur de la débâcle de son armée et des Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), face aux multiples offensives meurtrières des djihadistes sur les communes de Djibo, Sollé, Yondé ou encore Diapaga. Le frénétique capitaine pourrait songer, dans son dispositif de communication, à projeter son hologramme sur les champs de bataille pour nourrir la légende de sa lutte prodigieuse contre le péril djihadiste… Mais il faut dire que celui qui avait promis de venir à bout des groupes terroristes en quelques mois a, entre-temps, modifié son cahier des charges. Dans l’ordre de ses priorités, la « révolution progressiste populaire » prime dorénavant sur la lutte contre le terrorisme. Pour les Burkinabè, le ciel peut donc attendre…

Retrouvailles USA-Niger 

A part ça… Au Niger, la junte dirigée par le général Abdourahamane Tiani a entrepris subrepticement de relancer ses relations avec les Etats-Unis. Après son coup d’Etat de juillet 2023, elle avait, avec fracas, dénoncé les accords de défense entre les deux pays en mars 2024 et demandé le départ immédiat des soldats américains présents sur le sol nigérien. Tout en rappelant que « le Niger demeure un partenaire des États-Unis dans la stabilité régionale et la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest », l’ambassadrice des Etats-Unis à Niamey, Kathleen FitzGibbon, a souligné, le 12 mai dernier, que « les États-Unis et le Niger partagent des intérêts communs qui soutiennent la sécurité de nos concitoyens, la stabilité et le développement de la région du Sahel, ainsi que la croissance des échanges et des investissements bilatéraux ».Auparavant, en avril, le Premier ministre nigérien, Ali Mahamane Lamine Zeine, s’était rendu à Washington, dans le but de « relancer la coopération politique, économique et commerciale entre les deux pays ». Un surprenant rabibochage qui s’affranchit discrètement du dogme « anti-occidental » des trois juntes de l’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger). A noter que cet événement intervient après des tensions, en mars dernier, entre le Niger et son partenaire chinois. En Putschland, l’époque est décidément formidable…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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