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Par Francis LALOUPO

Mali : L’épisode Moussa Mara

Incarcéré depuis ce 1er août, l’ancien Premier ministre malien, Moussa Mara, n'a pourtant jamais été perçu comme le plus farouche opposant aux putschistes de Bamako. Message de la junte au pouvoir : tolérance zéro pour toute expression critique ou jugée non conforme à ses objectifs.

Crédit Photo : Droits tiers.
Crédit Photo : Droits tiers.

Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali.

Ce 1er août, l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara a été placé sous mandat de dépôt, après avoir subi, les jours précédents, plusieurs séances d’interrogatoires. Inculpé par le procureur du Pôle national de lutte contre la cybercriminalité, l’acteur politique est notamment accusé d’« atteinte au crédit de l’État, opposition à l’autorité légitime, et incitation au trouble à l’ordre public ». Sur quoi se fonde précisément cette accusation ? Sur un tweet diffusé début juillet par Moussa Mara. Après avoir rendu visite à des prisonniers, il avait écrit : « Solidarité indéfectible avec les détenus d’opinions (…) Aussi longtemps que dure la nuit, le soleil finira par apparaître. Et nous nous battrons par tous les moyens pour que cela arrive, et le plus tôt possible ». Simple parole de solidarité envers des hommes et femmes de la société civile emprisonnés pour avoir osé émettre des critiques sur l’état des choses dans leur pays. 

Le fait d’en conclure à une « incitation au trouble et à l’ordre public » relève de la pure extravagance. D’autant que ce texte se situe dans le même registre que tous ceux que publie assidûment Moussa Mara sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années. La question était de savoir les limites qu’allait fixer la junte de Bamako à la liberté d’expression de l’ancien Premier ministre. Ce dernier aura sous-estimé l’exceptionnelle susceptibilité des pouvoirs illégitimes… Son procès devrait avoir lieu le 29 septembre prochain. Le procès d’un tweet.

Ayant choisi de rester dans son pays, plutôt que les chemins de l’exil, Moussa Mara s’est employé depuis l’instauration du régime militaire à communiquer ses avis et commentaires sur les évolutions de la situation dans son pays. Critique envers le pouvoir militaire, mais avec un souci constant de pondération. Une forme de prudence qui a amené certains de ses partisans à le soupçonner d’une insidieuse bienveillance à l’égard du régime putschiste. Il est vrai qu’iln’a jamais affiché l’image d’un furieux agitateur. Davantage un contributeur du débat politique qu’un radical promoteur de l’insurrection.

Reproduction de la tyrannie ordinaire

Le pouvoir militaire a donc décidé de faire taire Moussa Mara, après avoir embastillé plusieurs acteurs politiques dits « de l’opposition ». Encore faudrait-il savoir à quoi l’on s’oppose exactement aujourd’hui au Mali. A une clique d’usurpateurs du pouvoir d’Etat ? Aux auteurs invétérés d’une rupture de l’ordre institutionnel ? A une anomalie provisoire qui s’est muée en un pouvoir à durée indéterminée ? A une bande d’imposteurs patentés, metteurs en scène d’une fiction « révolutionnaire » ? Ou encore, à une caricaturale reproduction de la tyrannie ordinaire ?  La mise aux arrêts de Moussa Mara signale, un peu plus encore, le postulat de la junte : tolérance zéro pour toute expression critique ou jugée inappropriée au regard de la doxa des nouveaux flibustiers de l’espace politique malien. L’affaire Moussa Mara marque un verrouillage absolu de l’expression politique par le régime des putschistes. C’est le signal définitif d’une liquidation en règle de ce que certains acteurs politiques civils voulaient encore percevoir comme un maigre reliquat de pluralisme, malgré les multiples démonstrations de l’émergence de la néo-dictature militaire.

L’incarcération de Moussa Mara intervient quelques semaines après l’officialisation de l’agenda du régime. Ayant évacué le principe d’une période transitoire, le dirigeant de la junte, le général Assimi Goïta, s’est octroyé un mandat non électif de cinq années, renouvelable jusqu’à plus soif. Et ce, après avoir prononcé la dissolution des partis politiques existants. Une manière de faire table rase de toute chose ayant précédé le putsch de toutes les aventures. Idéologiquement adoubé par la Russie pour commettre ce forfait historique, la junte s’autorise désormais à exécuter les termes de son dessein. Et même si nul ne peut encore en prévoir les prochains développements, l’addition des actes déjà posés en indique la funeste nature. « Cette fois, ils ont franchi la ligne rouge », m’a dit un ami du Mali, manifestement ému, quelques heures après la mise en détention de Moussa Mara. Je lui ai répondu que tant de lignes rouges ont déjà été franchies par le clan des braqueurs d’Etat. Et tout laisse à penser que d’autres le seront encore. Au Mali, les choses ont décidément pris un sens mauvais… Peu à peu, se confirme au Sahel, un retour aux temps de braise et de plomb. Le pire serait de s’y habituer.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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