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Par Francis LALOUPO

[ÉDITO] Sahel : jours ordinaires en Putschland

Procédure judiciaire arbitraire à l’encontre de l’ancien président nigérien, Mohamed Bazoum, disparition mystérieuse du chef de la junte burkinabé, institutionnalisation de la violence d’Etat au Mali… Agenda ordinaire des régimes putschistes du Sahel dans tous leurs états.

Crédit Photo : JA.
Crédit Photo : JA.

Ainsi donc, au Niger, des hommes en treillis qui ont trahi leur serment en commettant un coup d’Etat se sont transformés en procureurs pour accuser de « haute trahison » leur victime, le président renversé Mohamed Bazoum. Cette inversion du sens des choses s’est matérialisée ce 14 juin par la levée de l’immunité parlementaire du dirigeant déchu. Les procureurs de la junte militaire ont pu compter sur la navrante diligence d’une Cour d’Etat qui a ordonnécette levée d’immunité, entérinant, ce faisant, la machination des militaires au pouvoir. Les juges de cette Cour se sont livrés à un invraisemblable exercice de contorsions cérébrales pour justifier leur décision, en faisant fi des objections des avocats de Mohamed Bazoum. Ces derniers qui n’ont pas été autorisés à avoir accès à leur client, ont vu leurs arguments simplement rejetés lors d’un simulacre d’audience judiciaire. Un sinistre spectacle qui n’honore ni ses auteurs, ni le pays qui l’héberge. 

Mohamed Bazoum, toujours séquestré avec son épouse Hadiza, sera donc jugé selon la volonté de ceux qui se sont emparés du pouvoir d’Etat dont il avait la charge. Il n’est point nécessaire d’épiloguer sur l’issue d’un tel procès, si jamais il se tenait. La cause est entendue : la peine réservée à ce prévenu pas comme les autres sera proportionnelle à l’incommensurable appétit du pouvoir des putschistes de Niamey. Un appétit par ailleurs soutenu par les haines recuites à l’endroit de celui qui refuse de démissionner, malgré le traitement dégradant qui lui est infligé depuis les lendemains du coup d’Etat du 26 juillet 2023. 

Un pouvoir militaire en roue libre

Non loin de là, au Mali, le régime militaire de transition qui s’est octroyé un mandat de fait, pour une durée que nul ne se hasarde plus à évaluer, ne s’embarrasse pas de nuances pour supprimer toutes les velléités oppositionnelles. Exemple parmi bien d’autres, ce 20 juin, onze membres de la plateforme dite « de la déclaration commune du 31 mars » ont été arrêtés à Bamako. Composée de plusieurs partis de l’opposition et d’organisations de la société civile, cette plateforme avait précédemment condamné la prolongation, par la junte, de la période de la transition qui aurait dû s’achever en mars dernier. Commentaire du site APANews : « Cette vague d’arrestations semble marquer un tournant dans les tensions politiques du pays, où les libertés d’expression et les activités politiques sont de plus en plus menacées». Une séquence parmi d’autres, desviolations flagrantes des libertés fondamentales. Une chronique de la vie ordinaire au Mali. Les arrestations arbitraires se multiplient comme autant de signaux adressés à tous ceux qui, selon la néo-dictature, ourdiraient des intrigues à son encontre. Un pouvoir militaire en roue libre, dont les officiers traquent toutes les formes d’opposition, et toutes les paroles interdites émises sur le territoire et à l’étranger. 

Plutôt que d’apporter des réponses aux difficultés socio-économiques d’une ampleur inédite, les dirigeants putschistes ont installé un nouveau système prébendier dont les bénéficiaires se vautrent dans les privilèges d’un pouvoir usurpé. Pendant ce temps, la question sécuritaire semble reléguée au second plan. Et, afin de couvrir les voix qui refusent d’admettre le fait accompli d’un régime qui impose sa logique, les putschistes projettent de temps à autre, vers leurs publics cibles, les incantations populistes néo-panafricanistes et pseudo souverainistes. Unerhétorique hypnotique vaillamment relayée par les cyber-zélateurs sur les réseaux sociaux. Il faut dire que ces réseaux sont devenus, pour les juntes du Sahel, l’outil et l’espace privilégiés de la gestion du pouvoir d’Etat.… 

Rumeurs de coup d’Etat

Non loin de là, au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, le chef de la junte qui exige d’être appelé « Président du Faso » depuis qu’il s’est accordé, le25 mai dernier, cinq ans supplémentaires aux commandes de l’Etat, a offert aux opinions un moment rare de dramaturgie politique. Aucommencement de l’affaire, une offensive, le 11 juin, du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida) dans la localité de Mansila (Nord-Est, près de la frontière du Niger), ayant fait, selon les assaillants, plus d’une centaine de morts, parmi lesquels de nombreux éléments de l’armée. Le lendemain, un projectile atterrit dans l’enceinte de la RTB (Radiotélévision Burkinabé), non loin de la présidence. Cet événement aurait entraîné une exfiltration d’Ibrahim Traoré, dit « IB »,vers une destination inconnue. Annoncé « disparu », le jeune conducator burbinabé réapparaît quarante-huit heures plus tard dans une vidéo où il fait don de son sang, célébrant à sa manière la Journée mondiale dédiée à cette action volontaire. Des images qui ne dissipent pas un festival de supputations sur des mouvements d’humeur au sein de l’armée, voire un coup d’Etat non encore consommé. 

IB, acteur de Ouagawood ?

Nouvelle apparition surréaliste du capitaine le 16 juin, vêtu d’une tenue civile et participant à la prière de la fête musulmane de la Tabaski. Après cette brève réapparition, le chef de la junte sera de nouveau introuvable. L’on signale alors plusieurs rotationsd’aéronefs Iliouchine russes à l’aéroport de Ouagadougou, en provenance du Mali, sur fond de rumeurs persistantes de tentative de coup d’Etat. A bord de ces aéronefs, des éléments de l’armée malienne et des « instructeurs » russes du groupe Wagner. Le report du conseil des ministres, prévu le 19 juin, conforte l’hypothèse de la fin de l’aventure d’IB. Ce dernier réapparaît le 20 juin, dans sa mise militaire coutumière, entouré de sa garde et affirmant,tout sourire, que « il n’y a rien du tout ». Les mouvements d’humeur au sein de l’armée ? Une blague. La roquette ayant atterri dans la cour de la RTB ? Une erreur de « quelqu’un qui a fait partir le coup, en voulant vérifier certaines choses ». Toutes les interrogations suscitées par sa « disparition » et son silence inhabituel pendant une dizaine de jours ? Que des « fake news » diffusés par des « médias menteurs et manipulateurs étrangers ». L’affaire se termine, avec de nombreuses questions sans réponses. 

En attendant, les propagandistes du régime, demeurés entre-temps étrangement silencieux, ont réinvesti les réseaux sociaux pour délivrer leur version de l’histoire. Sur un ton jubilatoire, ils affirment que la disparition du capitaine IB n’était qu’une « stratégie » destinée à révéler au monde la manière dont les « médias étrangers », et surtout « français », s’activent à diffuser des « fake news » afin de nuire aux destinées du peuple burkinabé et à son dirigeant bien-aimé Ibrahim Traoré. Ainsi, cette « disparition », n’aurait été qu’une belle farce ? Unfeuilleton Ouagawood avec pour acteur principal un IB en mode fantôme ? Une pantalonnade orchestréepar des autorités politiques ? On peut s’étonner que de tels narratifs soient diffusés vers les opinions, dans un pays où l’on n'avait jamais compté autant de victimes d’une crise sécuritaire que les autorités de la junte ne parviennent pas à endiguer.

A part ça… Un morceau choisi des déclarationsinsolites du Premier ministre de la junte burkinabé «souveraine». L’inénarrable Apollinaire Kyélem de Tambèla, resté silencieux pendant le récent épisode de la «disparition» du capitaine IB, avait, quelques jours plus tôt, formulé cette légendaire proposition :«Nous allons tenir des conseils de ministres en Russie avec tout notre gouvernement et exiger que dans le recrutement du personnel, les Burkinabè qui parlent le Russe soient prioritaires». Tout commentaire serait superflu…

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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