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Par Francis LALOUPO

Russie - Afrique : La rengaine Lavrov

Du 3 au 5 juin, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a entrepris une nouvelle tournée en Afrique. Au programme, un discours répétitif anti Occident, une litanie de bonnes intentions et un soutien décomplexé aux régimes autoritaires. Un tour de piste sans surprise…

Crédit Photo: BRICS
Crédit Photo: BRICS

Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères.

Première étape de la tournée, la Guinée. Ici, les militaires au pouvoir se gardent d’entonner les couplets anti Occident à la manière de leurs collègues putschistes de l’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso). Ils ont pourtant réservé à la délégation russe conduite par Sergueï Lavrov un accueil des grands jours. A mesure qu’il s’habitue aux délices du pouvoir, le chef de la junte guinéenne, Mamadi Doumbouya, acquiert la conviction qu’en politique il n’y a pas de petits profits. Peut-être qu’une photo avec son hôte russe pourrait servir de bouclier dans de futurs temps difficiles.

L’essentiel de cette rencontre russo-guinéenne a porté sur la coopération militaire et l’exploitation des mines. Le ministre russe a salué la coopération dans le secteur minier, soulignant que l'exploration géologique représente «le plus gros investissement russe qui a permis la création de milliers d'emplois en Guinée». Une vision idyllique de la situation,selon des habitants qui, par ailleurs, n’ont pas manqué de rappeler les désastres écologiques occasionnés par cette activité qui échappe au contrôle des pouvoirs publics. Insistant sur «la coopération militaro-technique (sic)», Sergueï Lavrov a promis l’assistance de son pays pour contrer la «menace terroriste» qui, faut-il le préciser, ne figure pas pour l’heure dans les priorités du pouvoir guinéen de transition. Figure imposée dans le discours de l’émissaire russe, la ritournelle de la lutte contre le «colonialisme», et une référence appuyée au passé de la Guinée «qui a été à l'avant-garde du processus de décolonisation». Les propos «anticolonialistes» qui portaient un sens du temps de l’Union soviétique, s’apparentent aujourd’hui à une farce de mauvais goût, venant d’un représentant du régime poutiniste. 

Soutien politique à la guerre contre l’Ukraine

Etape suivante de cette tournée, le Congo Brazzaville où l’inamovible régime de Denis Sassou Nguesso s’appuie depuis quelques années sur ses relations avec Moscou pour conforter une présidence à vie. Chaussant allègrement les lunettes du passé, le président Sassou Nguesso inscrit l’actuelle coopération russo-congolaise dans la continuité de l’alliance autrefois scellée par son pays avec l’Union soviétique. Aussi a-t-il opté pour une diplomatie du grand écart. Une équation stratégique qui l’amène à maintenir des liens traditionnels avec ses partenaires « occidentaux », tout en associant sa voix à celle du partenaire russe pour vilipender le même « Occident ». Sergueï Lavrov est assuré de pouvoir compter sur le dirigeant congolais pour avaliser les tenants de la diplomatie russe sur la scène internationale. Ici, l’émissaire russe est venu s’assurer d’un soutien politique pour la guerre impérialiste que son pays mène contre l’Ukraine. Ainsi qu’il l’a affirmé à l’issue de cette visite en terre congolaise, «le président Sassou a fait preuve de compréhension envers nos actions ; il comprend bien que l'Ukraine c'est l'instrument de l'Occident… ».

Cap ensuite sur le Burkina Faso, où le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte et admirateur zélé de Vladimir Poutine, a accueilli, le 5 juin, la délégation russe dans son palais. Chez le capitaine putschiste, la coopération russo-burkinabé a pris les allures d’une véritable vénération du maître du Kremlin. Au programme de la visite de Lavrov, le soutien réaffirmé de la Russie dans la lutte contre l’insécurité, avec « l’augmentation de l’effectif desinstructeurs militaires russes au Burkina Faso ». Evoqués également, la coopération dans le secteur minier, et plus accessoirement, les domaines ducommerce, de la santé ou encore de l’agriculture. Commentaire obligatoire livré par Lavrov pour conclure l’étape de Ouagadougou : « Nos relations avec le Burkina Faso se développent et n’ont jamais eu de caractère colonial ». Le simplisme le dispute à la caricature… ou au cynisme.

Dernière étape de cette tournée, le Tchad désormais considéré par la Russie comme un territoire symbolique francophone à investir. Ici, la France est, plus qu’ailleurs, explicitement désignée comme la principale cible de l’offensive russe. Lavrov a exposé, en termes alambiqués, son approche de la « complémentarité » entre les présences russe et française au Tchad : « Notre amitié avec le Tchad ne va pas influencer ses relations avec la France. Nous ne demandons jamais à personne de choisir ses amis, mais la France a une autre approche. Selon Paris, soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». En guise de réponse, le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderman Koulamallah, a scandé : « Nous ne sommes l'otage de personne ! Ni de la France, ni de la Russie, ni d'aucune puissance ou d'aucun pays. Nous sommes un pays souverain, et nous entretenons des relations avec qui nous voulons. » Un résumé sibyllin de la nouvelleapproche diplomatique du pouvoir tchadien controversé, qui s’emploie depuis quelque temps à stabiliser en son sein un compromis entre « pro-Occidentaux » et « pro-Russes », dans un contexte géopolitique mouvant.

Promotion des régimes autoritaires

Une tournée au pas de charge. Rien n’a changé depuis le périple africain de Sergueï Lavrov de l’année dernière. Même rhétorique, immuables ficelles. Des rengaines à peine réchauffées, inlassablement formulées dans les invariables chargesanti Occident. Des promesses mirifiques de« coopération multisectorielle » qui alimentent l'optimisme des fervents russolâtres. Lors de sa tournée en février 2023, Sergueï Lavrov avait déclaré à Bamako que « la Russie continuera d'envoyer des vivres de première nécessité (!), de mobiliser nos entrepreneurs à venir investir au Mali dans les différents secteurs, et d’augmenter aussi le quota des bourses d’études… Seules « promesses » tenues : la commercialisation d’armements, l’industrie de la désinformation et « l’expertise militaire » russe. Une expertise sulfureuse, essentiellement exécutée par le groupe paramilitaire Wagner, aujourd’hui nationaliséet enfin reconnu officiellement par le Kremlin. Depuis le premier sommet Russie-Afrique tenu en octobre 2019 à Sotshi, aucun des projets multisectoriels énoncés par Moscou n’a connu une concrète réalisation. 

D’une tournée à l’autre, le chef de la diplomatie russe rabâche les fondamentaux de son logiciel. En 2023, il avait assuré ses nouveaux partenaires africains de son soutien « afin de résister aux tactiques coloniales des Américains et de leur alliés ». Cette fois, Sergueï Lavrov a martelé ce mot d’ordre : non à la démocratie que « l’Occident veut imposer au monde». Qu’on aille donc demander aux Ghanéens, Sud-africains, Cap-verdiens, Botswanais ou Nigérians si leur démocratie est une importation occidentale, et si son épanouissement sous les cieux de ces pays dépend des injonctions de l’Occident !…

La diplomatie du Kremlin se fonde sur une promotion décomplexée des régimes autoritaires et un désir d’importation en Afrique du système politique érigé par Vladimir Poutine. Une conjonction d’intérêts émerge entre cette Russie et lesrégimes africains issus de putschs, les démocratures et autres néo-dictatures. Ces derniers peuvent compter sur le blanc-seing du Kremlin pour s’enferrer dans leurs médiocres bilans, sans souscrire à une quelconque obligation de résultat vis-à-vis deleurs populations. Voilà comment, dans les temps présents, certains dirigeants africains, juchés sur des ectoplasmes d’Etats, réinventent le comptoir colonial avec un pouvoir russe aux contours maffieux.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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