Publicité

Par le P’tit Railleur Sénégalais

Le Mali et ses fils de putsch…

Quelle est cette malédiction qui poursuit le Mali ? L’ancien Soudan français, qui compte plus de vingt millions d’âmes et s’étend sur un million deux cent quarante mille kilomètres carrés, calé entre le Sénégal, la Mauritanie, l’Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Guinée. Excusez du peu… Le pays de Kankan Moussa est considéré comme l’un des pays au sous-sol le plus riche de l’Afrique de l’ouest et bien au-delà, en creusant bien, on y trouve de l’or, de l’uranium, du diamant. Il recèle également du pétrole, du gaz naturel, du plomb, du manganèse, du cuivre, des phosphates, du lithium. La liste n’est pas exhaustive. Malgré tout ça, les revenus par tête d’habitant sont de 1086,18 dollars, soit 609.346 francs CFA. Faut-il chercher l’erreur dans la grande tradition de putschs qui semblent la marque de fabrique malienne depuis la tentative de coup de force,laquelle enterre la Fédération du Mali en 1960 et se poursuit allègrement depuis ? Donald Trump, dans un de ses rares moments de lyrisme humaniste, nous a qualifiés, nous autres pays africains, de « pays de merde ». Le Mali, dans le lot, serait carrément gouverné par des fils de putsch  ?

Par le P’tit Railleur Sénégalais
Par le P’tit Railleur Sénégalais

Le Mali se découvre une cinquième colonne… Pour annoncer le terrifiant scoop, ce 15 août 2025, c’est le général de division Daoud Aly Mohammedine, ministre de la Sécurité et de la Protection civile, qui s’y colle : « Le gouvernement de la République du Mali informe l'opinion nationale de l'arrestation d'un groupuscule d'éléments marginaux des forces armées de sécurité maliennes pour des infractions pénales visant à déstabiliser les institutions de la République. Au moment où la nation malienne, unie dans toutes ses composantes, est mobilisée pour consolider notre souveraineté retrouvée et éradiquer les forces terroristes obscurantistes de la Confédération des États du Sahel, ses militaires et des civils n’ont eu d’autre ambition que de chercher à briser, avec l’aide d’États étrangers, la dynamique de la refondation du Mali ».

Serait-ce de l’humour noir ? Ça prête presque à sourire jaune…

En français facile, ils viennent d’échapper à une tentative de coup d’État. Seulement, ça l’affiche mal d’entendre le mot « coup d’État » sortir dela bouche du porte-parole d’un groupe de putschistes qui peinent à rétablir l’ordre constitutionnel.  Les conjurés ? Il s’agit principalement de deux généraux de l’armée malienne, Abass Dembélé et Néma Sagara, et de quelques sous-officiers : les lieutenants-colonels Baba Dambélé, SaibouKeïta, Mamadou dit Tiékoro Diara, SungaloDiop, le capitaine Mohamed Ouattara, le caporal Amadou Bouba Coulibaly, le sergent-chef Boukari Karakodjo, Yakouba Kodjo et de l’inévitable « espion » français, Yann Vizilier.Bien entendu, la purge se poursuit allègrement : il faut nettoyer les allées et recoins de la République, hantés par des traîtres et des agents secrets… Pour ainsi dire, traquer et mettre hors d’état de nuire une « cinquième colonne » de la France, laquelle ferait apparemment un dépit amoureux depuis que les nouveaux maîtres du Mali lui préfèrent les Russes.

Ne jurer de rien dans la précipitation : ça ne sait toujours pas si le plan qui vient de foirer a juste l’ambition de zigouiller l’indispensable Malien Assimi Goïta ou d’exterminer toute une junte. Les enquêteurs, on s’en doute, mettront un zèle particulier à faire jaillir la lumière de cette ténébreuse affaire. La France, bien entendu, botte en touche… Pour rappel, la « cinquième colonne » est latrouvaille d’un officier franquiste, le général Emilio Mola, du temps de la guerre civile espagnole au milieu des années trente, qui se vante alors d’avoir sous ses ordres quatre colonnes de soldats pour aller à l’assaut de Madrid, qui reste républicaine, et d’une cinquième dans la ville même. Comprenez des agents infiltrés qui sapent la résistance de l’intérieur. Plus près de nous, la Guinée sous Sékou Touré, pendant plus de deux décennies,  en proie à la paranoïa révolutionnaire présidentielle, débusque avec régularité les agents de sa « cinquième colonne » ennemie dont le sort funeste est de finir pendus haut et court et leursdépouilles exposées en public. 

Régulièrement, certains d’entre eux passent aux aveux à la radio, au Palais du Peuple devant des milliers de militants qui n’osent pas douter des affirmations du « Grand Sily ». C’est alors souvent le coup d’envoi de sanglantes purges qui verront la « République » populaire de Guinéeperdre ses enfants les plus brillants, dont Diallo Telli, ancien Secrétaire général de l’OUA, entre autres fonctions de prestige. Fallait surtout pas briller, au risque de déplaire à l’ombrageux maître de Conakry d’alors. Le nouveau potentat du Mali, le général-président Assimi Goïta, n’invente donc pas le fil à couper le beurre. Bien au contraire, il est le digne continuateur d’une interminable série de putschs, qui vont du plus tragique au plus loufoque.

On rembobine ?

L’inclination au putsch est sans doute dans l’ADN de cette turbulente République du Mali : c’est pour une tentative de coup de force foireuxcontre le Sénégal de Senghor et Mamadou Dia que les Soudanais, comme on les appelle alors, Modibo Keïta en tête, sont conduits manu militari à la gare de Dakar à destination de Bamako le 20 août 1960. 

La République du Mali, proclamée le 22 septembre 1960, est l’enfant naturel de ce putsch avorté.

Dépit amoureux ? Modibo Keïta, tout Soudanais qu’il est, n’en demeure pas moins le poulain du « médecin africain » reconverti en planteur libéral, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ancien allié des communistes français ; le maître du jeu politique soudanais est même prêt à se fondre dans une fédération avec le socialiste sénégalais et non moins poète, Léopold Sédar Senghor.  Ses alliances avec deux forcenés de la francophilie tournent vite court et Modibo Keïta, une fois président du Mali, change brusquement de direction. Fréquenter Gamal Abdel Nasser dans les années soixante, le fier à bras du Caire, ça fait chic à l’époque… Sa boussole lui indique plutôt l’Union soviétique, mais surtout, sur la question du bon voisinage, les « révolutionnaires panafricanistes » : il se plaît en compagnie de Sékou Touré et Kwame Nkrumah, avec lesquels il forme l’Union des États de l’Afrique de l’Ouest.

Les penseurs de l’AES qui regroupe actuellement le Niger, le Burkina Faso et le Mali n’ont rien inventé…

Modibo Keïta et ses compagnons vont batailler au nom du « Club de Casablanca » pour une Union africaine carrément résolue à bouter d’Afrique sans ménagement tous les occupants étrangers.  Il ne faut que deux ans au Mali « révolutionnaire et socialiste » pour larguer le franc CFA et créer le… franc malien, qui sera le début de l’effondrement économique du pays. La mayonnaise ne prend pas : pour les privés, s’il faut commercer avec les voisins, dont le principal partenaire, le Sénégal, le CFA est indispensable. Ce franc malien, qui prétend être de même valeur que le CFA, est même raillé au pays de Senghor comme le symbole d’une monnaie à valeur nulle. 

Deux dévaluations après, en 1963 et 1967, le Mali est au bord du gouffre.

Bien sûr, durant ces périodes d’austérité, il n’est pas question de tolérer la moindre contestation : le parti unique est de rigueur, et ça baisse le ton pour parler de la conduite des affaires publiques.  Le destin des contestataires du genre Fily Dabo Cissokho ou Hamadoun Dicko, deux vieux routiers de la politique depuis l’époque coloniale, est de terminer leurs jours à la prison de Kati, le parfait mouroir pour opposants…

Silence, on communise.

C’est le 19 novembre 1968 que l’idylle entre le Mali et Modibo Keïta prend fin. Un quarteron de sous-officiers le renverse. Un certain lieutenantMoussa Traoré devient pour quelques mois président du Comité de Libération nationale.  On a toujours besoin d’un joli slogan pour embellir les putschs, n’est-ce pas ? Passé l’effet de surprise, ça passe président de la République dès le 19 septembre 1969.  Pourquoi des élections quand on est du bon côté des fusils ? L’État se durcit plutôt : son bras armé, Tiécoro Bakayoko, n’est pas un mollasson, un tendre. Il a plutôt tendance à tendre l’oreille partout, jusque dans les salles de classe où les profs ont intérêt à glorifier la révolution, s’ils ne veulent pas finir leurs jours à Kati… Comme dans toutes les dictatures qui se respectent, les sombres complots se déjouent de manière spectaculaire. En 1971, c’est le Premier ministre en personne, Yoro Diakité, qui est conduit entre deux gendarmes à la prison de Touadeni, dans le nord, pour y finir ses jours deux ans après. C’est en 1974 que le peuple malien dans son écrasante majorité, comprenez 99 % des voix par référendum —pourquoi souriez-vous ?— adopte la Constitution qui consacre la deuxième République. Le parti unique est ainsi proclamé, accompagné de l’Union des Femmes que dirige la Première dame soi-même, Mariam Traoré, (si ! si !) et l’Union des Jeunes à l’adhésion desquelles personne n’est exonéré.

Le partage du butin se termine toujours tragiquement. 

Il faut dix ans à Moussa Traoré pour enfin se retrouver seul maître à bord, après les accusations qu’il porte contre ses complices du putsch de 1968 : en novembre 1978, les terreurs du régime malien, Tiécoro Bakayoko, le redoutable patron de la police et des services secrets, Kissima Doukara, le ministre de la Défense, de l'Intérieur et de la Sécurité et Karim Dembélé, ministre des Transports sont arrêtés, accusés de tentative de coup d’État et déportés à Taoudéni, dans le Nord.  Un escadron de la mort visitera TiécoroBakayoko en prison. Paix à son âme. La voie étant libre, les premières élections de la Deuxième République ont lieu en 1979 et Moussa Traoré en est le seul candidat. 

Qui est fou ?

La disparition des durs du régime ne le ramollit pas : en 1980, les manifestations d’étudiants sont réprimées dans le sang et leur meneur, Abdou Karim Camara « Cabral » meurt entre les mains des policiers.

Que faut-il vraiment retenir du régime de Moussa Traoré ?

Il y a ces deux guerres avec son voisin, la Haute-Volta devenue le Burkina Faso pour la bande d’Agacher. La première en 1974 ; la seconde, en 1985 qui serait déclenchée, la deuxième fois, après le scandale des six milliards de francs CFA de la CEAO et les accusations à peine voilées de Thomas Sankara ? Le Mali qui largue la France pour flirter avec l’Union soviétique et les pays de l’Est ? Le retour tardif au franc CFA quand l’économie s’effondre ? Il y a un peu de tout ça sans doute dans sa chute, en 1991.  Entre-temps, l’effondrement de l’URSS, la chute du Mur de Berlin signant la dislocation du Bloc de l’Est et la bourrasque des résolutions de La Baule en 1990 pour plus de démocratie aura soufflé sur les dictatures du continent africain… Un mouvement de contestation enclenché le 22 mars 1991 fait deux cents morts. C’est le début de la fin pour le régime de Moussa Traoré : le 26 mars, des soldats dirigés par un colonel, Amadou Toumani Touré, le déposent. Il est jeté en prison à Ségou.

Les putschistes ont toujours de belles formules… 

C’est un Comité de Transition pour le Salut du Peuple qui installe ses pénates pendant une année au terme de laquelle, Amadou Toumani Touré, ATT, le président de la Transition, organise au pas de charge et la Conférence nationale et la Présidentielle et les législatives avant de remettre le pouvoir au président élu démocratiquement, Alpha Oumar Konaré. Ce furent les dix années où le Mali sera une démocratie, euh, normale, dont le pluralisme ne fait pas l’ombre d’un doute et les libertés respectées. Alpha Oumar Konaré rempilera pour un second mandat de cinq ans avant de rendre les clés de la République et briguer laprestigieuse fonction de Président de la Commission de l’Union africaine qu’il exercera cinq années durant de 2003 à 2008.

Flash-back. 

En 1993, le procès de Moussa Traoré peut enfin se tenir et le président déchu écope de la peine de mort qui sera commuée en perpète dès 1999 pour « crimes économiques » par le président Alpha Oumar Konaré, lequel finit par le gracier en 2002, avant de rendre le pouvoir. Entre-temps, ATT passe au rang de légende vivante.  La maestria avec laquelle il administre la Transition avant de rendre le pouvoir aux civils de manière chevaleresque marque les esprits au Mali et ailleurs dans le monde. Ça lui rapporte l’estime et la confiance notamment de Koffi Annan, Secrétaire général des Nations-Unies qui lui confie même une mission de bons offices en Centrafrique.  ATT monte également sa Fondation qui œuvre dans le social et bénéficie de l’appui international.  C’est alors qu’approche la présidentielle de 2002 au Mali qu’il prend sa retraite anticipée de l’Armée et se lance dans la course qu’il remporte les doigts dans le nez. Il sera réélu pour un deuxième mandat au terme duquel il ne peut plus se représenter.  Et puis, à deux mois de l’échéance, patatras, un capitaine, Amadou Haya Sanogo, piqué par on ne sait quelle mouche, sous le prétexte des difficultés du régime d’ATT à contenir la rébellion touarègue au nord du Mali, le renverse, et pour ne rien changer, installe le  Comité national pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’État, CNRDRE, ouf. 

Non, il ne peut pas attendre deux mois que le président sortant fasse ses adieux : ce serait trop simple, alors que ça peut faire compliqué. Ces putschistes-là n’auront pas même le temps de plastronner longtemps : leurs rêves de gloire prennent fin après une vingtaine de jours. La réaction vigoureuse de la CEDEAO qui leur impose un blocus pendant que les rebelles touareg proclament la création de l’État de l’Azawad, ça fait un peu trop dans la p’tite tête de ces braves bidasses en folie. Il sera contraint et forcé de rendre le pouvoir aux civils ; cette fois, puisque ATT annonce sa démission, il investira le président de l’Assemblée nationale pour se consoler avec la présidence d’un Comité militaire de suivi de la Réforme des forces de défense et de sécurité. 

Leur sens de la formule m’épatera toujours…

Un comité de suivi qui ne sera un an plus tard qu’un mauvais souvenir pendant que les anciens putschistes sont arrêtés et traduits devant les tribunaux après la découverte d’une vingtaine de corps de militaires exécutés.  Leur procès reporté plusieurs fois n’aura finalement pas lieu, suite à des « accords » avec les familles. Quant à ATT, il a juste le temps de se faire exfiltrer et débarquer à Dakar de l’avion présidentiel sénégalais qui est allé le chercher ainsi que les siens. Son tombeur qui tentera de le faire juger devant la Haute Cour de Justice pour haute trahison essuiera un revers : la majorité refuse d’engager des poursuites contre un héros national.  Il pourra rentrer en 2019, avec la garantie du président d’alors Ibrahima Boubacar Keïta IBK. 

Mais le mal est déjà fait : le Mali renoue avec les cycles de coups d’État.

Le président de la République par intérim, Diocounda Traoré, ancien président de l’Assemblée nationale qui a pris la poudre d’escampette au moment du coup d’État pour se planquer au Burkina Faso, de retour donc, doit assurer l’intérim et organiser la présidentielle.  Il restera dans l’Histoire de ce drôle de pays, le président de la République que des manifestants trouveront dans son bureau pour le tabasser comme un vulgaire malfrat. Il sera évacué en France pour s’y faire soigner pendant quelques mois avant de rentrer mettre sur pied un nouveau gouvernement. Le deuxième tour de la présidentielle qui se tient le 11 août 2013 voit la victoire d’Ibrahima Boubacar Keïta, IBK. On croit que le cycle des putschs vient de se fermer. Ben non. Il rempile en 2018 pour un deuxième mandat et, alors que tout va pour le mieux dans le meilleur des Mali, enfin, façon de parler, puisque le pays des deuxSalif Keïta part en couilles depuis sa réélection, avec les contestations de rue venues s’ajouter à la progression des djihadistes.

Et donc, le 18 août 2020, rebelote…

Cette fois, après l’arrestation du président et de son Premier ministre, c’est le Comité national pour le Salut du Peuple que ça s’appelle et c’est un certain Assimi Goïta qui en prend la tête… Il est même désigné comme président de la Transition mais la CEDEAO tape du poing sur la table : c’est un civil ou un militaire à la retraite qui doit présider la transition de douze mois avant de rétablir l’ordre institutionnel.  Assimi Goïta fait semblant de céder et nomme Bah Ndaw président, lui-même se contentant de la vice-présidence… 

Pourquoi souriez-vous ?

Il faudra un peu plus d’un an au maître du pays pour montrer son vrai visage : foin de faux-semblant ! Le président et son Premier ministre sont arrêtés et Assimi Goïta s’installe confortablement dans le fauteuil présidentiel. 

Il n’a pas l’air de vouloir le céder avant longtemps…

La rue grogne et gronde…en silence. Elle est contrainte au mutisme par une junte allergique à toute contestation. Pendant ce temps, le djihadisme frappe tous les jours, jusqu’aux frontières du Sénégal. Mais ne vous inquiétez pas : « l’espion » français est aux arrêts. La communauté internationale a beau hurler, la CEDEAO menacer, il ne bougera pas même un cil. À moins qu’un énième bruit de bottes vienneremplacer le précédent. Et vogue la galère !

P’tit Railleur Sénégalais

Commentaires

Vous souhaitez pouvoir ajouter un commentaire à l'article Le Mali et ses fils de putsch…, ou faire profiter de votre expérience avec les internautes, ajoutez votre commentaire il sera mis en ligne après validation par notre équipe

Indiquer votre commentaire
Indiquer votre nom
Indiquer votre prénom
Indiquer votre adresse email (utilisateur@domaine.com)

*Champs obligatoire
Conformément à la loi informatique, aux fichiers et aux libertés n°78-17 du 6 janvier 1978, vous disposez d'un droit d'accès et de rectification relatif à toutes informations vous concernant sur simple demande à notre adresse.

Votre commentaire a bien été prise en compte, notre équipe vous envoi un mail de confirmation une fois mis en ligne.

Votre commentaire est en attente de modération. Voir votre commentaire

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.