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Par Francis LALOUPO

Mali : zone grise institutionnelle

Alors que le terme de la transition militaire était fixé au 26 mars 2024, aucune annonce officiellen’a été faite pour expliquer le non-respect de cet engagement. Une situation inédite. Quel est l’agenda que la junte malienne entend désormais imposer au pays ?

Crédit Photo : DT.
Crédit Photo : DT.

La date du 26 mars 2024 devait marquer la fin de la transition post-putsch au Mali. Ce ne fut manifestement pas le cas. A tous ceux qui ont tenté de comprendre à quoi allait ressembler les jours d’après le 26 mars, la junte au pouvoir depuis la commission de deux putschs successifs - en août 2020 et mai 2021 - a répondu par un silence éloquent. Alors que des Maliens désemparés interpellent les autorités militaires sur l’état de la transition, une voix sans nom et sans visage leur répond : il n’y a plus de transition au numéro que vous avez demandé. Par conséquent, depuis quelques jours, la population est entrée dans une période grise. Plus aucun calendrier n’offre la perspective de sortie de cet état d’exception. Sans en avoir été formellement informés, les Maliens sont amenés à admettre un fait accompli : il n’y a plus de transition officielle et pas davantage de processus électoral annoncé. Une zone grise institutionnelle dans laquelle évolue à présent un pouvoir non élu qui accapare l’État, en imposant sa loi exclusive à la collectivité nationale.

Suppression définitive des élections

Il y a deux ans, le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, avait signé un décret qui prolongeait de vingt-quatre mois la durée initiale de la transition. Par la suite, le calendrier électoral conduisant au retour à un pouvoir civil n’aura été que partiellement respecté. Après un référendum constitutionnel en juin 2023, le processus fut soudainement suspendu. Fin 2023, les autorités avaient affirmé que «les conditions n’étaient pas réunies» pour l’élection présidentielle prévue en février 2024. Elles promettaient alors un « léger report » du scrutin. Mais l’on entrevoyait déjà, derrière cette modification du calendrier, l’intention d’un prolongement de la période de transition. Symbole fort du renoncement par la junte à toute opération électorale dans un avenir proche, la dissolution en décembre dernier de l’Observatoire pour les Elections et la Bonne Gouvernance au Mali, dont le président, Ibrahima Sangho, avait eu l’outrecuidance d’objecter que le pays était matériellement «en mesure d’organiser des élections au plus tard en mars 2024». Parmi les arguments récurrents des porte-voix du régime pour justifier la suspension du calendrier électoral, la «situation sécuritaire». Comment comprendre alors qu’il soit devenu soudainement impossible d’organiser des élections dans le pays, alors même qu’en juin 2023, le référendum avait pu se tenir dans des conditions jugées convenables par les autorités ? Aujourd’hui, le prolongement tacite de la transition fait remonter des tendances «radicales» de l’opinion. Outre ceux qui estiment que les militaires devraient conserver le pouvoir jusqu’à la fin de la crise sécuritaire, il y a les autres, activistes d’un pernicieux néo-populisme, qui en appellent à la suppression pure et simple des élections dans la vie nationale.

Fabrique des néo-dictatures

En réponse, des citoyens tentent encore de rappeler que le rôle de l’armée est de se consacrer pleinement à la résolution de la crise sécuritaire, plutôt que d’occuper indéfiniment des fonctions politiques, sans produire le début d’un programme de développement global en faveur d’un pays. Des voix tentent encore d’alerter la population sur les risques inhérents à une situation de «non Etat», au moment où le pays est projeté dans une conjoncture politique indéterminée. La coalition de l’opposition dénommée Synergie d’Action Pour le Mali, face au non-respect de la fin de la transition, s’est inquiétée récemment d’un «vide juridique». En guise de solution, elle a préconisé la «mise en place d’une transition civile», tout en appelant à la «la mobilisation générale de l’ensemble des forces vives de la nation pour sauver la patrie en danger». A la suite de cette prise de position, le gouverneur de Bamako, Abdoulaye Coulibaly a publié, ce 25 mars, un communiqué interdisant les activités de la coalition Synergie «sur l’ensemble du territoire de Bamako, en raison du contexte sécuritaire et des risques de menaces de trouble à l’ordre public». Une mesure, parmi tant d’autres, qui confirme l’inexorable élimination de toutes les voix «non autorisées» dans le pays. L’on retrouve cette même structuration d’un régime autoritaire au Niger et au Burkina Faso, associés au Mali dans l’Alliance des Etats du Sahel (AES). 

Une effarante fabrique de néo-dictatures militaires. A part ça… Le Sénégal. Une fois encore, lors de l’élection présidentielle du 24 mars dernier, démonstration a été faite de l’enracinement de la démocratie et, surtout, de son appropriation par la population. Magistrale démonstration. Une bonne nouvelle, plutôt rare ces temps-ci, en Afrique de l’Ouest. Reste désormais aux vainqueurs du scrutin à faire la preuve, durant leur mandat, de leur capacité à satisfaire toutes les espérances, bien au-delà de leur seul vivier électoral.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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