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Par Francis LALOUPO

Niger : le bûcher des promesses !

Une improbable tentative d’évasion, une politique de boucs émissaires, l’impasse sécuritaire, la menace d’une crise humanitaire, les mensonges d’un coup d’Etat… Une junte face à l’épreuve des réalités.

Crédit Photo: AFP.
Crédit Photo: AFP.

Le problème avec les néo-putschistes du Sahel, c’est qu’à force de transformer un putsch en une série télévisée à multiples rebondissements, il leur faut fréquemment en alimenter les épisodes. L’un des derniers moments du feuilleton nigérien fut la rocambolesque fable d’une « tentative d’évasion » du président renversé, Mohamed Bazoum, dans la nuit du 18 au 19 octobre dernier. Une histoire sans queue ni tête, qui s’est soldée par l’arrestation de plusieurs individus qui attendent de savoir quel sort leur sera réservé. Et surtout, ce qu’il leur estprécisément reproché. Toujours est-il que le présumé candidat à l’évasion est toujours séquestré dans une dépendance de la présidence, sous très haute surveillance. Alors que les avocats du président Bazoum ont dénoncé des « accusations montées de toutes pièces », le procureur général près la cour d’appel de Niamey, Salissou Chaïbou, a, à la suite de l’événement, maintenu l’accusation de tentative d’évasion, tout en précisant, sans rire, qu’il ne s’agissait pas d’une « mise en scène (sic) ». L’on retiendra qu’en prêtant à Mohamed Bazoum des intentions d’évasion, la junte aux manœuvres reconnaît au moins, de facto, le régime d’incarcération qu’elleinflige au président et à sa famille. Une détentionsans cause, sans motif et sans jugement. Autrement dit, une prise d’otage. Un délit majeur qui pèsera dans le rapport d’activités du CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) aux commandes de l’Etat depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023.

Empêtré dans les difficultés consécutives à un putsch dont le Niger se serait bien passé, le CNSP, dirigé par le général Abdourahamane Tchiani est de plus en plus confronté à l’épreuve de la réalité. Après l’étape des discours enflammés pour promettre le grand bond en avant aux Nigériens, voici venue l’heure d’une première reddition des comptes. Sur les réseaux sociaux, on peut entendre les débats animés par des Nigériens portant sur le « bilan des cent jours » de la junte. Au programme, des échanges dominés par l’impatience, l’inquiétude, et surtout le lucide constat des promesses intenables. Un nuage de déception… Des débats où l’on dénonce notamment les dangers de la « ruecratie » (le pouvoir de la rue) sur laquelle la junte s’est appuyée pour s’emparer des leviers du pouvoir d’Etat, sans en avoir précédemment évalué les tenants et les exigences. Une captation de l’Etat, sans projet. Et, pour tenter de transformer l’erreur en vérité historique, un passage obligé : désigner les indispensables boucs émissaires, sources de tous les malheurs du Niger. Il s’agit, invariablement de la France, la Cédéao, l’Onu, et encore plus génériquement, la fameuse «communauté internationale ». 

Il y a quelques semaines, le Premier ministre de la junte, l’économiste Ali Mahamane Lamine Zeinequi a très tôt adhéré à la stratégie du coup d’éclat permanent, n’avait pas hésité à déclarer ceci : « Nous attendons juste la fin du retrait de l'armée française de notre pays, et vous serez surpris de la vitesse à laquelle le Niger va se développer ». Certains ont cru à une mauvaise farce. Devenu un gimmick définitif et le point d’achèvement de tout raisonnement politique, le mot «France», sert abondamment et sans modération d’argument-refuge pour les régimes néo-putschistes du Sahel. Après avoir mis fin aux accords de coopération militaire avec la France en août dernier, le CNSPavait promis aux Nigériens un renforcement des capacités endogènes dans la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Le retrait des forces françaises, débuté le 6 octobre, devrait s’achever au plus tard à la fin du mois de décembre. La question qui se pose alors est de savoir si, face à cette nouvelle donne, les autorités militaires nigériennes, avaient conçu une stratégie pertinente pour compenser l’action menée par les 1500 éléments français aux côtés des Forces armées nigériennes (FAN) depuis une dizaine d’années. 

Question d’autant plus urgente que depuis la nouvelle configuration sécuritaire, l’on assiste à un regain d’activité des GAT et une intensification de leurs actions contre les FAN et les civils. Alors que l’on avait observé une amélioration de la situation depuis 2021, une dizaine d’attaques de GAT ont été signalées depuis le mois d’oût. Episode singulièrement sanglant, les trois attaques successives qui ont fait près de 200 morts entre le 28 septembre et le 4 octobre. Face à ses responsabilités, la junte devra apporter des réponses probantes aux insuffisances d’une politique sécuritaire devenue problématique. En attendant, le pouvoir militaire tente à présent de créer les conditions d’un « dialogue » ou de « négociations » avec certains groupes armés. C’est dans cette même logique que le régime a récemment décidé la libération de 86 terroristesde divers centres de détention, parmi lesquels des chefs terroristes au lourd pedigree tels que Kabirou Bazo, Haroun Boubacar, Dandjou Aliou, Altini Bella. Objectif : favoriser leur « conversion » à la paix. Ces gestes ne manquent pas de surprendre, quand l’on sait que les putschistes avaient, au moment de leur coup de force, vivement critiqué ces mêmes méthodes initiées par le président Mohamed Bazoum après son élection en 2021, afin d’endiguer le fléau du terrorisme. Ainsi donc, la junte rattrapée par la réalité, démontre à son corps défendant, l’insoutenable vacuité de son coup de force, qu’elle avait tenté de justifier en dénonçant les « faiblesses » de la politique sécuritaire du président Bazoum…

Tout ceci se passe sur fond de difficultés économiques de plus en plus insupportables pour toutes les couches de la population. A Niamey, l’on peut rencontrer des fonctionnaires obligés de faire la queue des heures durant, devant des établissements bancaires dans l’espoir de pouvoir retirer une partie de leurs salaires. Selon une annonce faite par les Nations Unies ce 8 novembre, 4,7 millions de citoyens menacés parl’extrême pauvreté auraient besoin d’une assistance humanitaire d’urgence. Confrontée à cette autre réalité, le pouvoir kaki de Niamey, plutôt que de rechercher les voies d’un compromis avec ses partenaires de la Cédéao pour une sortie honorable de l’impasse politique, s’obstine à instaurer une hasardeuse transition. Manifestement, le CNSP a choisi de s’enferrer dans un hypothétique « bon droit » à gouverner le Niger. Coûte que coûte ? En tout cas, c’est ce signal qu’ont certainement voulu donner les dirigeants nigériens autoproclamés en se rendant le 10 novembre dernier à Ryad, dans le cadre d’un insolite sommet Arabie saoudite – Afrique, auquel ont assisté plusieurs chefs d'État et de gouvernement africains. Conduite par le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Zeine, la délégation nigérienne a voulu faire de cette première sortie du CNSP sur la scène internationale une « démonstration de force diplomatique ». Cette manière de braver les condamnations internationales suscitées par lecoup d’Etat suffira-t-elle, pour la junte, à se défaire du fardeau des mensonges devenus la marque de sa prise de pouvoir ?

Par Francis Laloupo pour LSI AFRICA

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