Par Francis Laloupo
Niger : le problème Mahamadou Issoufou
Le 13 août dernier, l’ancien dirigeant nigérien Mahamadou Issoufou a rendu publique une lettre destinée à la Fondation Mo Ibrahim qui lui a décerné en 2020 le Prix de la Gouvernance. Ce courrier aura-t-il suffi à dissiper tous les doutes sur son implication présumée dans le putsch du 26 juillet 2023 ?
- Politique
Dans une lettre datée du 1er août 2024, l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou, a exprimé sa condamnation du coup d’Etat intervenu un an plus tôt dans son pays. La lettre, publiée quinze jours après sa rédaction, avait été adressée à la Fondation Mo Ibrahim qui lui a décerné en 2020 le Prix du «Leadership d'excellence». Cette dernière n’a eu de cesse de réclamer à son lauréat une « clarification » de sa position vis-à-vis du putsch du 26 juillet 2023. Il est vrai que le relatif silence observé depuis plusieurs mois par Mahamadou Issoufou face aux événements intervenus au Niger a suscité de nombreuses interrogations, alimentant rumeurs et suspicions, voire des accusations de complicité avec les tombeurs de son successeur, Mohamed Bazoum, illégalement maintenu en détention depuis le coup d’Etat. C’est donc pressé par le Comité du Prix Mo Ibrahim que celui qui a dirigé le Niger de 2011 à 2021 affirme «condamner tout changement anticonstitutionnel, toute prise de pouvoir par la force, y compris celle intervenue le 26 juillet 2023». Cependant, il se dit opposé à «toute intervention extérieure qui serait de nature à déstabiliser le pays et donc à aggraver la situation». L’occasion pour lui de rappeler qu’il a personnellement «déployé des efforts pour trouver une solution négociée à la crise». Une crise dont les fondements demeurent à maints égards obscurs et qui aurait amené la garde présidentielle – la même qui fut à son service lors de son mandat – à perpétrer un coup d’Etat. Toujours est-il que Mahamadou Issoufou a, dans sa lettre, tenu à réaffirmer son «attachement aux principes démocratiques et à l’État de droit». Enfin, pour évacuer définitivement tout soupçon, il indique qu’il est lui-même parmi les «victimes» du coup d’Etat, en rappelant que son propre fils, ancien ministre du Pétrole, est détenu depuis douze mois sur le ordres de la junte au pouvoir.
Funeste addiction aux attributs présidentiels
Cette lettre suffira-t-elle à évacuer tous les doutes et à dissiper le trouble au sein de la Fondation Mo Ibrahim ? La décision de Mahamadou Issoufou de se retirer à l’issue de son second mandat en 2021 avait été saluée comme un acte «exceptionnel», alors même qu’il ne faisait que respecter les prescriptions de la Constitution. Depuis, l’ancien président a eu toutes les peines du monde à se départir d’une funeste addiction aux attributs présidentiels. Manifestement, l’homme qui a continué de multiplier les déplacements et les meetings à travers le pays refusait de se convertir à sa nouvelle vie d’ancien président. Que dire aussi du temps qu’il consacrait à épier les faits et gestes de son successeur, qu’il assommait de ses recommandations, conseils et autres directives ? Jusqu’au coup d’Etat de fin juillet 2023, il n’a cessé de produire les signes d’un attachement aussi tourmenté que viscéral au pouvoir présidentiel. Comme si l’élection de Mohamed Bazoum, en 2021, relevait d’un simple malentendu. Comme s’il avait décidé, de son seul ressort, de le transformer en un Dmitri Medvedev qui n’avait «succédé» à Vladimir Poutine, en 2008, que pour mieux préparer le retour de ce dernier. Pourtant, il serait insensé de confondre le profil de Mohamed Bazoum avec celui d’une simple marionnette aux ordres de son prédécesseur… A la veille du putsch, qui a porté aux commandes de l’Etat nigérien le général Abdourahamane Tiani, des échanges soutenus ont eu lieu entre les futurs putschistes et Mahamadou Issoufou. Aujourd’hui encore, de nombreuses zones d’ombre demeurent quant à la teneur précise de ces conversations qui se sont déroulées dans les coulisses du forfait.
Toutefois, nombre de témoins de l’entourage de l’ancien dirigeant du Niger ne s’embarrassent pas des précautions requises pour franchir le seuil des accusations. Dans une interview accordée le 7 mai dernier à Radio France Internationale (RFI), HindaBazoum, fille du président renversé, Mohamed Bazoum, assénait sans détour : «C'est bien Mahamadou Issoufou le commanditaire du putsch. L'idée a mûri dans la tête d'une seule personne : Mahamadou Issoufou (…). Il a trahi Mohamed Bazoum. Il a trahi tout un peuple, il a trahi ses amis de lutte…» Et d’expliquer : «Il n'a jamais condamné le putsch. Pire, il s'affiche même aux côtés des putschistes (…) Il était l'ami de notre père, mais n'a fourni aucun effort pour lui. Il n'a jamais cherché à le rencontrer ni à exiger sa libération. Il n'a jamais cherché à entrer en contact avec nous, les enfants. Chose plus curieuse encore, lorsque la communauté internationale souhaitait exiger un retour à l'ordre constitutionnel, au lieu d’abonder dans le même sens, il a plutôt plaidé pour une courte transition, une nouvelle Constitution et de nouvelles élections, sûrement pour pouvoir revenir au pouvoir… »
L’administration des ambiguïtés
En février 2024, Mahamadou Issoufou a porté plainte contre l’ancien ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté, qui avait, devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, évoqué son «implication directe» dans le putsch de juillet 2023. Selon l’ambassadeur, «on peut avancer sans grand risque de se tromper que Mahamadou Issoufou a fomenté, ou pour le moins, accompagné le coup». Le président Issoufou avait alors dénoncé un « tissu de calomnies». Depuis les lendemains du coup d’Etat, c’est pourtant auprès de lui que des membres et proches de la junte vont solliciter conseils, soutien et recommandations. Ses déplacements à l’étranger prennent l’allure de «voyages officiels», bénéficiant d’un traitement protocolaire et de dispositions matérielles dignes d’un chef de l’Etat bis. Autant dire que, chaque nuit, il dort paisiblement sous le ciel de Niamey, avec la bienveillante et vigilante protection d’un régime militaire dont il semble être le plus précieux collaborateur. Dans le même temps, le sort infligé à son successeur, Mohamed Bazoum, littéralement séquestré avec son épouse depuis un an, ne semble pas troubler ses jours qu’il passe à accorder des audiences dans sa résidence quasi présidentielle. Il est bien loin, ce temps où Issoufou,militant socialiste de l’idéal démocratique dans le cercle de l’opposition, aux côtés de ses compagnons parmi lesquels Mohamed Bazoum, m’exposait les nobles destinations de son combat politique…
A quoi aura servi la lettre adressée à la Fondation Mo Ibrahim ? S’attendait-on à un coup de théâtre, un acte de contrition tardif ou un exercice de réparation ? Un acte supplémentaire promis au bûcher des vanités ? En tout cas, l’initiative ne semble pas avoir émoussé l’entente cordiale entre Issoufou et les membres de la junte. Peut-être même que la lettre a reçu l’aval manœuvrier des hommes en treillis. Elle agit tout au plus comme un service minimum destiné à administrer les ambiguïtés de l’ancien dirigeant nigérien confronté au remous des soupçons. Difficile d’imaginer, lorsque viendra l’heure des comptes, Mahamadou Issoufou sur les bancs des «victimes» du coup d’Etat de juillet 2023.
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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