Même si ça ne me regarde pas…
Yaoundé-Genève, un Biya aller-retour
La liste provisoire des candidats à la présidentielle camerounaise du 12 octobre 2025 vient de tomber : sur quatre-vingt-trois dossiers présentés, seuls treize sont retenuspar l’organe chargé d’organiser les élections, l’Élecam, dont celui du président sortant Paul Biya. Le principal impétrant, quatre-vingt-douze bougies, auquel on n’ose plus coller la formule « bon pied, bon œil » en dépit de ses héroïques efforts, garde le poil obstinément noir, malgré quarante-deux ans de présidence d’un pays au décollage économique poussif.
- Politique

LSI AFRICA
Le « Continent », comme se surnomme la patrie des Lions Indomptables, se console en enfilant les titres de champion d’Afrique de football. En leur qualité de consommateurs de bière, ça ne se défend pas mal non plus chez les compatriotes de Samuel Éto’o… À titre d’exemple, en 2016, les habitants du « Continent » en engloutiront six cent soixante millions de litres, soit trente-six litres par habitant. Les angoisses existentielles, sans doute… Parmi les recalés de cette première liste, figure surtout le professeur Maurice Kamto, président fondateur du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, MRC, qui fait office pratiquement de leader de l’opposition, cependant présenté comme candidat du Mouvement africain pour la nouvelle Indépendance et la Démocratie, MANIDEM.
Une astuce pour contourner la loi qui invalide les candidatures à la présidentielle dont le parti n’a pas participé aux législatives et aux locales précédentes. Problème : l’ancien président du MANIDEM, Anicet Ekane, que ses anciens camarades jurent avoir viré, débarquera à la dernière minute pour présenter un dossier sous la même bannière. Un embouteillage électoral qui vaut au PrMaurice Kamto d’être recalé par l’Élecam. L’espoir faisant vivre, il a encore une quinzaine de jours pour présenter un recours. D’ici là, onsuppose qu’il ne dormira que d’un œil…
Quand ça n’aime pas, ça compte ?
Paul Biya en sera à briguer son huitième mandat consécutif, excusez du peu, durant lequel il devra encore faire face à la pauvreté crasse dans laquelle pataugent bon nombre de ses compatriotes. C’est vrai, il y a pire : le Cameroun n’est pas en bas du tableau des pays africains, avec selon le site « Trading Economics », un PIB estimé à plus de cinquante-et-un milliards de dollars US, soit environ vingt-huit mille milliards en pauvres francs CFA.
On rembobine ?
Né le 13 février 1933 à Mvoméka’a, Paul Barthélémy Biya’a bi Mvondo, après ses études secondaires au Lycée Général Leclerc de Yaoundé, intègre la prépa de Louis-le-Grand à Paris avant d’entrer à Sciences Po Sorbonne où il décroche une licence en droit public ; le parchemin en poche, il fonce à l’Institut des hautes Études d’Outre-Mer, nouvelle appellation de l’ENFOM depuis 1959, la fabrique des administrateurs des colonies. Paul Biya y décroche son diplôme en 1961 avant de rentrer au Cameroun où ce veinard est recruté comme chargé de mission à la Présidence de la République sur recommandation de l’influent Dr Louis Paul Aujoulat, membre de nombreux gouvernementsfrançais durant la colonisation.
Une fois le pied à l’étrier, Paul Biya fera son bonhomme de chemin.
Il bifurque quelque temps au ministère de l’Éducation nationale, la Jeunesse et la Culture comme directeur de cabinet et secrétaire général sous William Étéki Mboumoua. Retour dans le saint des saints, comme directeur de cabinet et secrétaire général de la Présidence de la République en 1968, aux côtés d’Ahmadou Ahidjo qui en fait son Premier ministre en 1975. Tout roule donc jusqu’en 1982, lorsqu’à la surprise générale, Ahidjo démissionne de la Présidence de la République. Des esprits chagrins en disent qu’il aurait été intoxiqué par de faux bilans sur sa santé le donnant alors pour presque mort.
Les infox seraient-elles vieilles comme le monde ?
Une modification de la Constitution, quelque temps auparavant, fait du Premier ministre le dauphin du chef de l’État : pour Paul Biya, c’est la consécration. Il ne doit sans doute pas dormir sur ses deux oreilles, puisque deux ans après, en 1984, il échappe à un coup d’État de la garde présidentielle fidèle à Ahidjo, lequel est condamné à mort par contumace, donc,contraint à l’exil au Sénégal. Le premier président du Cameroun meurt le 30 novembre 1989 à Dakar où il repose au cimetière musulman de Yoff.
Quant aux conjurés, certains sont exécutés séance tenante et d’autres jetés sur la paille humide d’un cachot en attendant de réfléchir plus sérieusement à leur funeste sort. L’occasion est trop belle pour éradiquer toute forme d’opposition. C’est alors que le parti unique prend ses aises et le pays reste sous coupe réglée. Quand arrivent les élections présidentielles en 1984 comme en 1988, Paul Biya est l’unique candidat : bien entendu, ça rempile les doigts dans le nez et les orteils en éventail. Il pourrait en remettre une couche électorale à l’envi, sauf que de l’autre côté de la planète, un monde s’effondre : le bloc soviétique sous le poids de la « Pérestroïka » (reconstruction) et la « Glasnost » (transparence) de Gorbatchev, le nouveau guide éclairé soviétique à la tâche de vin ; un autre bloc, celui de l’Est, se disloque à son tour, avec comme symbole la chute du Mur de Berlin…
Le monde occidental, qui n’a pas le triomphe modeste, se décrispe.
La guerre froide est finie, il est temps de proclamer haut et fort les valeurs démocratiques du « Monde Libre », dont la France de François Mitterrand. C’est à La Baule, en juin 1990, que le coup de tonnerre fait trembler les démocratures africaines que la Guerre froide force à chouchouter face au péril communiste. La France ne cherche pas vraiment des euphémismes pour donner le menu de la nouvelle potion magique : pluralisme démocratique, élections régulières, libertés individuelles, dont celle d’opinion…
À Paul Biya, nul besoin d’expliquer longtemps : ça te relifte la République en quatrième vitesse… Dès 1992, vent démocratique oblige, il doit faire face à John Fru Ndi du Front social-démocrate, et échappe de justesse à la déculottée. Biya passe avec un peu moins de 40 % des voix tandis que le challenger le marque à la culotte avec 35 % des votes dans des élections tout ce qu’il y a d’opaques. En troisième position, avec environ 19 % des voix, un poids lourd : Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la Démocratie et le Progrès, UNDP, qui est son premier mais bref Premier ministre entre 1982 et 1983, et son actuel ministre des Loisirs et du Tourisme. Là, pour la prochaine présidentielle d’octobre2025, Maïgari vient de le lâcher et présente sa candidature.
Après les sueurs froides de l’élection de 1992, Paul Biya doit se jurer in petto qu’on ne l’y reprendra plus… Par quelle magie ? Mystère et boule de gomme. Mais il renoue avec les scores, euh, soviétiques. Comme le chahute l’humoriste franco-camerounais Dieudonné Mbala-Mbala, l’insubmersible président « continental » évite tout juste de franchir la barre psychologique des 100 % : « Au-delà, ce ne serait plus crédible »persifle le boute-en-train…
CINQUANTE-CINQ SÉJOURS
À GENÈVE ENTRE 1969 et 2002
Que doit-on retenir des sept mandats et quarante-deux années de magistères de Paul Biya ? Les goûts et les couleurs ne se discutent pas : le choix de l’amour immodéré pour les « petits séjours privés » à Genève du président camerounais, l’emporte… Rassurez-vous, il n’attend pas d’être président de la République pour s’émerveiller des plaisirs helvètes : l’ancien directeur de l’Intercontinental de Genève, Herbert Schott, raconte dans un ouvrage comment ils font connaissance en 1969 alors que Biya est chef de cabinet à la Présidence et lui, chef de réception. Ils deviennent des familiers tellement leurs destins semblent parallèles un quart de siècle durant. Et, précise l’hôtelier, Biya est « si attaché à Genève qu’il avait entrepris entre 1969 et 2002 plus de cinquante-cinq visites à notre ville, toujours à titre privé ». Un hôtelier qui se respecte cirerait les bottes pour bien moins que ça à pareil client…
Un consortium de journalistes soucieux des deniers publics camerounais estime à soixante-cinq millions de dollars, soit plus de trente-six milliards de francs CFA, la facture des séjours privés de Biya entre 1982 et 2017. Petite précision : la location de jets privés et autres extras ne sont pas compris dans ces calculs d’épiciers qui ont le don d’énerver les activistes camerounais en exil. Dans ce chronogramme du petit tourisme privé, l’année 2009 est un grand cru : Biya passe cent jours en Europe, dont une escapade de trois semaines à La Baule, en France, là où son cauchemar multipartiste commence en 1990… Un pèlerinage ? Coût de ce bivouac pour lequel il faut quarante-trois chambres et suites àquarante-deux mille euros la nuitée : huit cent mille euros, soit à peu près cinq cent vingt-cinq misérables millions de francs CFA.
De la p’tite bière…
En 2019, cependant, ces jaloux d’activistes le contraindront à écourter son séjour avec des manifestations devant son hôtel qui occasionnent l’agression d’un journaliste de la Radio-Télévision Suisse par la sécurité présidentielle. Ces brutes épaisses seront condamnées à des peines assorties de sursis par la justice helvétique qui ne blague pas vraiment avec l’intégrité des journalistes et le droit à l’information. Biya, comme punition, reste deux ans sans y retourner. Mais ce doit être plus fort que lui, et les financiers de l’Intercontinental aussi commencent à se languir de ce client pas comme les autres… Voyez-vous ça : depuis plus de vingt-cinq ans, à chaque séjour, le Camerounais Suprême occupe avec sa suite le dernier étage du palace à cinquante mille francs suisses la nuitée, soit un peu plus de trente-cinq millions de francs CFA.
Quoi, pourquoi ces tronches de comptables frustrés ?
En 2021, lorsque les activistes sous la bannière des « Sardinards » débarquent à l’Intercontinental de Genève, la sécurité de l’hôtel et la police leur font face : ils sont arrêtés, conduits manu militari au poste. Ces indignés en exil finissent par écoper d’amendes-jours assorties du sursis, allant de mille huit cents à deux mille sept cents francs suisses, soit d’environ un million deux cents à un million neuf cent mille francs CFA… Bref, les escapades au pays des banquiers muetscommencent à devenir compliquées pour Biya et ses proches.
Mais c’est en 2024 que le pays retiendra son souffle : parti le 04 septembre assister au Forum de coopération Chine-Afrique, le FOCAC de Pékin, au cours duquel la crinière rouge sang de Chantal Vigouroux Biya, sa flamboyante épouse,vole la vedette aux figurants de la photo-souvenir, Paul Biya disparaît des radars. On ne l’aperçoit, les semaines suivantes, ni au sommet de la Francophonie à Paris, ni à l’Assemblée générale des Nations-Unies à New-York. Les rumeurs les plus folles sur son état de santéqui agitent l’opinion camerounaise obligent legouvernement à annoncer son retour dans un communiqué le 08 octobre. Le président camerounais et sa volcanique épouse débarquent en fin de compte le 21 de ce mois-là,bras dessus, bras dessous, tandis que les Camerounais leur réservent un accueil psychédélique avec des motocyclistes en divagation et des citoyens en haies d’honneurdans les rues de Yaoundé.
C’est fou, l’amour…
Tout ceci pour ne pas s’étonner de voir rempiler Paul Biya à la prochaine élection, même s’il doit convaincre les électeurs depuis une chaise roulante, alors que son dentier menace de rouler au sol pendant ses tirades et que ses trous de mémoire laissent des blancs entre les phrases…S’il passe au prochain scrutin avec un score soviétique, comme à l’accoutumée, Paul Biyadevra ôter une douloureuse épine du pied camerounais : les velléités sécessionnistes de la partie anglophone, en plus d’endiguer la menace djihadiste, au Nord, à la frontière nigériane secouée épisodiquement par les raids de Boko Haram. Coordonner des troupes pour bouter l’ennemi dehors, ça demande du nerf, du jarret et du sourcil, en effet, mais si l’inusable Paul Barthélémy Biya’a bi Mvondo s’en sent capable depuis le dernier étage de l’Intercontinental de Genève, que veut de plus le peuple ?
Le P’tit railleur Sénégalais
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