ÉDITO
RDC - Bemba : du débat d’idées à l’attaque ad hominem, une faute politique
La République démocratique du Congo n’a pas besoin qu’on ravive les braises des tensions ethniques, ni qu’on instrumentalise les origines familiales comme argument politique. Dans un pays meurtri par des décennies de conflits, de clivages et de méfiances, jeter ainsi l’opprobre sur les origines supposées d’un ancien président, c’est risquer d’allumer une mèche que nul ne saura éteindre. Le spectre des années 1990, lorsque l’« authenticité congolaise » servait de prétexte à l’exclusion et à la stigmatisation, plane à nouveau sur le débat public.
- Politique

Crédit Photo : Archives / DT
Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba.
En proférant publiquement que Joseph Kabila n’est pas le fils biologique de Laurent-Désiré Kabila, mais un « agent et soldat rwandais », Jean-Pierre Bemba, vice-Premier ministre congolais en charge des Transports, a franchi une ligne rouge. Ce n’est pas une simple déclaration polémique ; c’est un dérapage grave, d’autant plus inacceptable qu’il émane d’un membre du gouvernement en exercice. L’histoire retiendra peut-être cette saillie non pour son contenu, mais pour ce qu’elle révèle : un abandon préoccupant de l’éthique républicaine dans le débat politique en République démocratique du Congo.
Dans toute démocratie digne de ce nom, la confrontation des idées est essentielle, mais elle doit s’appuyer sur le respect de la vie privée, socle intangible de la dignité humaine. Comme l’a si justement rappelé Barack Obama : « La vie privée ne regarde pas la politique. Ce sont les idées qu’on combat, non les familles. » En s’en prenant aux origines supposées de son rival, Jean-Pierre Bemba ne s’attaque pas à une ligne politique, mais à la personne, à l’intime, à ce que la République devrait sanctuariser. C’est une dérive populiste qui menace l’ensemble du contrat social congolais.
Cette sortie, en apparence personnelle, a en réalité une portée institutionnelle. Elle ternit l’image du gouvernement, fragilise la présidence de Félix Tshisekedi, et expose le pays à des divisions identitaires contre-productives, à l’heure où l’unité nationale devrait primer sur les ressentiments. Elle sape aussi les efforts de diplomatie régionale et fragilise la crédibilité du Congo sur la scène internationale.
L’histoire offre de nombreux exemples où les régimes qui ont cédé à la tentation de la stigmatisation ont vu leur tissu national se désintégrer. Du Rwanda voisin aux tragédies yougoslaves, en passant par les morts de «l'ivoirité» en Côte d'Ivoire, les discours fondés sur les origines ethniques ou familiales n’ont jamais produit autre chose que du chaos. Nelson Mandela nous l’a appris : « La dignité de la vie publique se mesure à sa capacité à respecter la vie privée. » Et Léopold S. Senghor le rappelait avec hauteur : « On ne construit pas une nation en s’en prenant aux mères, aux enfants, aux proches de ceux qui pensent autrement. » Ces paroles doivent aujourd’hui guider nos responsables, les rappeler à leurs devoirs, au moment même où l’Afrique cherche des leaders de paix, de rassemblement, non des pyromanes du verbe.
Sur le fond, cette déclaration détourne l’attention des véritables enjeux politiques. En abordant un registre personnel et sensible, Jean-Pierre Bemba occulte les débats de fond : gouvernance, sécurité à l’Est, développement économique, crédibilité du processus électoral. La manœuvre est-elle calculée ? Vise-t-elle à discréditer un adversaire en le « déracinant » symboliquement ? Si tel est le cas, c’est une erreur stratégique, car elle affaiblit davantage le camp presidentiel qu’elle ne renforce la démocratie.
Au lieu d’attiser les rancœurs, la RD Congo a besoin d’une élite politique tournée vers les solutions, les réformes, la cohésion sociale. La jeunesse congolaise ne réclame pas des révélations sensationnalistes, mais des réponses à l’insécurité, à la précarité, à la crise de l’emploi. Cette génération aspire à la grandeur, pas au règlement de comptes. Il est temps que les responsables congolais réalisent que leur parole pèse lourd, très lourd. Et qu’en politique, l’outrance n’a jamais tenu lieu de programme.
Albert-Emile LUKEBA, Doctorant en Sciences Politiques / Grenoble.
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