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Par Francis LALOUPO

Russie – Afrique de l’Ouest : Changement de logiciel ?

Grand allié des juntes du Sahel, Moscou prône désormais le dialogue et la coopération entre l’AES et la Cédéao. Au nom du « pragmatisme »et du principe de réalité. Simples déclarations ou véritable tournant diplomatique ?

Crédit Photo : DT
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Une surprise russe en cette fin d’année : l’appel deMoscou à « la poursuite d’un dialogue pragmatique et mutuellement bénéfique entre la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao)et la Confédération des Etats du Sahel (CES/AES),afin de trouver des solutions communes pour contrer les défis et les menaces communs, y compris la lutte contre le terrorisme régional ». Une exhortation formulée à l’issue de la deuxième Conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique, qui s’est tenue au Caire du 19 au 20 décembre. Très remarqué, le tête-à-tête entre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et le président de la Commission de la Cédéao, Omar Alieu Touray. L’occasion pour les deux hommes de rapprocher leurs points de vue à propos des « relations de la Russie avec l’organisation communautaire ouest-africaine et la région sahélo-saharienne ». S’agissant de la diplomatie russe dans cette région, l’objectif est désormais d’associer la Cédéao et l’AES dans un même dispositif organique. Moscou, qui se défie à présent de toute approche dogmatique de la question sécuritaire dans le Sahel, semble se rallier aux vertus du pragmatisme et de l’efficacité.

Cette position de la Russie pourrait marquer l’épilogue d’une séquence qu’elle a, depuis cinq ans, assumée dans la région : celle d’une alliance aux contours exclusifs avec les juntes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES - Mali, Burkina Faso, Niger), et qui a érigé une frontière conflictuelle entre ces trois pays et ceux de la Cédéao. Trois ans plus tôt, les « conseillers stratégiques » de Wagner, envoyés parMoscou auprès des trois régimes militaires, avaient délicatement suggéré à ces derniers de se retirer de la Cédéao, afin de consolider leur pouvoir, tout en entérinant leurs putschs condamnés par l’organisation régionale. Des conseils allègrement accueillis par ces juntes qui notifieront leur retrait de la Cédéao enjanvier 2024. Fortifiées par un pacte de coopération discrétionnaire avec la Russie, elles avaient alors échafaudé une artificieuse doctrine « souverainiste » transformant le reste du monde – y compris la Cédéao - en perpétuels adversaires…

En réalité, la nouvelle position de la Russie, officialisée par Sergueï Lavrov, n’est pas une surprise. Ici même, nous avons rapporté les multiples signaux envoyés depuis quelques semaines par les représentants du Kremlin. Notamment, l’appel, inattendu, lancé en août dernier par DmitriTchoumakov, représentant permanent adjoint de la Russie auprès de l’ONU, pour « un soutien collectif, à l’échelle mondiale, en faveur du Mali, du Burkina Faso et du Niger, afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme ». Quatre mois plus tard, c’était au tour du représentant permanent du Mali auprès de l’Onu, Issa Konfourou, d’en appeler à une « relance sincère de la coopération régionale et internationale dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest ». L’ambassadeur malien avait alors affirmé que « la Confédération de l’AES est entièrement disposée à la coopération avec les pays de la région et l’ensemble des partenaires qui le souhaitent ». Des propos inspirés de la nouvelle ligne préconisée par Moscou. 

Les limites objectives des promesses de la Russie

Le recadrage diplomatique formulé par SergueïLavrov ce 19 décembre au Caire, agit donc comme un accélérateur du nouveau postulat relationnel de la Russie en Afrique de l’Ouest. S’agissant de la lutte contre le terrorisme, la nouvelle proposition de la Russie rejoint, de fait, les recommandations avancéespar la Cédéao depuis plusieurs mois. Cette dernière a régulièrement signalé l’urgence d’une coopération à l’échelle régionale, par-delà le contentieux du retrait de l’AES de l’organisation communautaire. Un appel systématiquement rejeté par les dirigeants de l’AES qui n’ont de cesse de vouer aux gémonies leurs voisins de la Cédéao, désignés comme des entitésmalveillantes. 

L’approche régionale de la lutte contre l’insécurité prônée par Moscou est dictée par une évidence : les limites objectives de la promesse faite à ses alliés de l’AES d’éradiquer le terrorisme et l’extrémisme violent dans le Sahel. Cinq ans après la survenue des coups d’Etat qui ont successivement porté au pouvoir les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la dégradation de la situation sécuritaire n’a jamais été aussi alarmante, faisant de ces pays l’épicentre du terrorisme mondial. En se retirant de la Cédéao pour créer l’AES, les militaires avaient promis à leurs populations de résoudre définitivement la crise sécuritaire grâce à la mutualisation de leurs capacités. Cette promesse s’est heurtée au mur de la réalité. Et, c’est bien au nom de ce principe de réalité – et de la sauvegarde de ses intérêts - que la Russie décide aujourd’hui de réviser sa politique de coopération en Afrique de l’Ouest. Autre facteur présidant à la réorientation de la diplomatie russe : la nécessaire« normalisation » des relations avec le plus grand nombre de partenaires sur le continent, en s’extrayant progressivement des alliances exclusivistes avec des régimes aux fondements hypothétiques. Egale à elle-même, la Russie applique dans le Sahel, comme ailleurs, les constituants de sa diplomatie :  entre versatilité décomplexée, brutalité, réalisme, cynisme, et variations opportunistes.

Ce 22 décembre, au moment où la Russie confirmait dans un communiqué la « volonté mutuelle (avec la Cédéao) d’intensifier la coopération », s’ouvrait à Bamako, un sommet des trois pays de l’AES. Les discours des dirigeants du Mali, du Burkina Faso et du Niger étaient bien éloignés de l’appel à la coopération avec la Cédéao lancé par leur partenaire russe. Manifestement, les nouvelles optionssuggérées par Moscou ne suscitent pas, pour l’heure, l’enthousiasme chez les juntes sahéliennes qui ont fait de l’hostilité envers la Cédéao le fonds de commerce et l’assurance-vie de leurs régimes obstinément rétifs au rétablissement de l’ordre constitutionnel.

Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.

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