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SITUATION ALARMANTE

JNIM - AES : l’ombre d’Al-Qaïda sur le Sahel s’épaissit

À Boulkessi, dans le centre du Mali, une attaque d’ampleur du groupe JNIM a pris de court l’armée malienne, le 1er juin dernier, provoquant une fuite désordonnée de soldats. Le groupe djihadiste lié à Al-Qaïda multiplie les offensives coordonnées dans toute la région, avec des méthodes de plus en plus sophistiquées et une ambition claire : encercler les capitales sahéliennes, imposer sa loi, et bâtir un pouvoir parallèle. Pendant ce temps, les régimes militaires qui peinent à contenir l’expansion, préfèrent investir des moyens colossaux dans la propagande. 

Crédit Photo : AFP
Crédit Photo : AFP

Image d’illustration.

À l’aube du 1er juin, des rafales de tirs ont brisé le silence de la base militaire de Boulkessi, au Mali. Des vagues d’insurgés djihadistes liés à Al-Qaïda ont pris d’assaut le camp, surprenant des soldats fraîchement déployés. Certains militaires, peu familiers avec la base située près de la frontière sud du Mali avec le Burkina Faso, se sont précipités pour se mettre à l’abri, tandis que d’autres fuyaient dans la brousse aride, selon un soldat ayant recueilli les témoignages de survivants de l’attaque. Ce militaire, qui avait terminé une mission à Boulkessi une semaine auparavant, a requis l’anonymat car il n’était pas autorisé à s’exprimer auprès des médias. Quelques heures après l’assaut, des vidéos circulaient en ligne montrant des combattants jubilants du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), enjambant les corps de soldats tombés au combat. Le JNIM a affirmé avoir tué plus de 100 soldats et présenté une vingtaine de militaires capturés sur la base. Reuters n’a pas pu vérifier ces allégations de manière indépendante.

L’attaque de Boulkessi n’est que l’une des nombreuses offensives meurtrières menées par le JNIM contre des postes militaires et des localités au Mali, au Burkina Faso et au Niger en mai et juin. Les insurgés revendiquent la mort de plus de 400 soldats lors de ces attaques. Le gouvernement militaire malien n’a pas communiqué de bilan. Reuters s’est entretenu avec cinq analystes, un expert en sécurité et un leader communautaire de la région. Tous estiment que cette flambée de violence traduit un changement stratégique du JNIM, groupe fondé par un islamiste vétéran qui s’était illustré en prenant brièvement le contrôle du nord du Mali en 2012.

Selon eux, le JNIM délaisse la guérilla rurale pour une campagne visant à contrôler le territoire autour des centres urbains et à imposer sa domination politique au Sahel. « Les attaques récentes témoignent d’une volonté concrète d’encercler les capitales sahéliennes, dans le but d’établir un État parallèle s’étendant de l’ouest du Mali au sud du Niger et au nord du Bénin », analyse Mucahid Durmaz, spécialiste Afrique chez Verisk Maplecroft. Les attaques du JNIM ont fait plus de 850 morts au Mali, au Burkina Faso et au Niger en mai, contre une moyenne mensuelle d’environ 600 victimes les mois précédents, selon les données du groupe américain Armed Conflict Location & Event Data (ACLED). Cette recrudescence des attaques en mai et juin marque l’une des périodes les plus meurtrières de l’histoire récente du Sahel et souligne la menace grandissante des groupes djihadistes, alors que les gouvernements de la région se sont éloignés de leurs anciens alliés militaires occidentaux, selon les analystes.

Plus d’une décennie d’insurrections au Sahel a entraîné des déplacements massifs et un effondrement économique. La violence s’étend progressivement vers les côtes ouest-africaines, fragilisant la stabilité régionale et alimentant les flux migratoires vers l’Europe. Le 1er juillet, le JNIM a mené des attaques simultanées contre des camps et positions de l’armée dans sept villes du centre et de l’ouest du Mali, selon un communiqué de l’armée et les revendications des insurgés. L’armée affirme avoir tué 80 militants. Reuters n’a pas pu joindre le JNIM pour obtenir des commentaires. Le groupe diffuse ses communiqués et vidéos sur les réseaux sociaux et ne dispose pas de porte-parole officiel. L’armée malienne n’a pas répondu aux sollicitations de Reuters concernant la vague d’attaques du JNIM. Elle a indiqué, après l’assaut de Boulkessi, que les troupes avaient « vigoureusement » riposté avant de se replier. « De nombreux soldats ont combattu, certains jusqu’à leur dernier souffle », précise le communiqué.

Le chef du JNIM, Iyad Ag Ghaly, a joué un rôle clé dans cette transformation. Ancien chef rebelle lors des rébellions touarègues au Mali dans les années 1990, Ag Ghaly a dirigé le groupe fondamentaliste Ansar Dine, membre d’une coalition qui a brièvement occupé le nord du Mali en 2012. Les militants avaient alors imposé une version rigoriste de la charia : interdiction de la musique, mutilations comme châtiment, exécutions et flagellations publiques. Des milliers d’habitants ont fui et des sites culturels ont été détruits, laissant des séquelles durables dans la région avant que les rebelles ne soient chassés par une intervention militaire française l’année suivante. Ag Ghaly est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger – arrivés à la faveur des insurrections prolongées entre 2020 et 2023 – promettent de restaurer la sécurité avant un retour à la démocratie. Ils ont rompu avec les pays occidentaux, expulsé leurs forces et se sont tournés vers la Russie pour obtenir un soutien militaire.

Après le déploiement de mercenaires, les Russes ont eux aussi subi des revers et n’ont pas réussi à contenir les insurrections. Au Burkina Faso – pays grand comme la moitié de la France – les militants contrôlent ou influencent environ 60 % du territoire, selon l’ACLED. Ag Ghaly, qui a prêté allégeance à Al-Qaïda, s’est imposé comme le chef d’une coalition djihadiste regroupant Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Al-Mourabitoun et la Katiba Macina, fusionnées en 2017 au sein du JNIM. Une source sécuritaire occidentale, sous couvert d’anonymat, a indiqué à Reuters que le JNIM est devenu le groupe armé le plus puissant de la région, avec 6 000 à 7 000 combattants. L’objectif d’Ag Ghaly, selon les analystes, est d’imposer la loi islamique sur l’ensemble du Sahel et d’étendre son influence jusqu’aux côtes ouest-africaines, une région deux fois plus vaste que l’Europe occidentale, peuplée d’environ 430 millions d’habitants, dont beaucoup sont chrétiens. Dans une rare vidéo diffusée en décembre 2023, il a dénoncé les régimes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, appelant les musulmans à se mobiliser contre eux et leurs alliés russes. Ag Ghaly n’a pas pu être joint pour réagir. Les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’ont pas non plus répondu aux sollicitations.

Les tactiques du JNIM sur le terrain se sont sophistiquées, avec l’utilisation d’armes anti-aériennes et de drones pour la surveillance et les frappes ciblées, selon Durmaz. Le groupe a amassé d’importantes ressources à travers des raids, le vol de bétail, le détournement de marchandises, des enlèvements et l’imposition de taxes aux communautés locales, affirment les analystes. Sans nommer d’administrateurs locaux dans les zones sous son contrôle, le JNIM impose toutefois une taxe appelée « zakat » en échange de protection, selon deux habitants et un ancien milicien. Le groupe a apaisé certains conflits intercommunautaires et instauré une forme de charia, obligeant les femmes à se voiler et les hommes à porter la barbe. Mais il s’est abstenu des châtiments les plus sévères, comme l’amputation des mains des voleurs. Heni Nsaibia, analyste principal Afrique de l’Ouest chez ACLED, évoque « un changement d’échelle » dans l’activité du groupe. Il souligne que la prise de la capitale provinciale de Djibo, au nord du Burkina Faso (plus de 60 000 habitants), le 11 mai, puis celle de Diapaga, à l’est (environ 15 000 habitants), deux jours plus tard, est sans précédent. « À Djibo, ils sont restés plus de 11 heures. À Diapaga, ils sont restés deux à trois jours. C’est inédit », explique Nsaibia.

Selon lui, le groupe a saisi pour environ 3 millions de dollars de munitions rien qu’à Djibo. La répétition des attaques inquiète désormais les capitales du Mali et du Burkina Faso. L’idée que le JNIM puisse prendre Bamako ou Ouagadougou, autrefois jugée farfelue, est aujourd’hui une menace crédible, estime Nsaibia.

L’ancrage du JNIM auprès des communautés marginalisées, notamment les Peuls – peuple pastoral très dispersé – est central dans sa stratégie de recrutement, selon les analystes. « Le JNIM avance le récit d’un défenseur des communautés marginalisées », observe Durmaz. « Il ne se bat pas seulement pour le territoire, mais pour la légitimité. » Les Peuls sont de plus en plus ciblés par les autorités au Mali, au Niger et au Burkina Faso au nom de la lutte antiterroriste, confie un leader peul à Reuters, sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité. Si tous les Peuls ne sont pas impliqués dans les groupes armés, leur présence est notable parmi les insurgés des zones rurales, davantage motivés par la frustration et le manque de perspectives que par l’idéologie, explique ce responsable. Les ambitions du JNIM dépassent désormais le Sahel. Le groupe a étendu ses opérations au nord du Bénin et du Togo et menace les États du golfe de Guinée, qu’il utilise comme bases arrière, selon les analystes.

Les deux pays ont renforcé la présence de leurs forces de sécurité dans le nord, face à la multiplication des attaques. « Le Togo et le Bénin sont les plus vulnérables, du fait de leurs capacités limitées en matière de contre-terrorisme, de la présence de griefs locaux dans le nord et de frontières poreuses avec le Burkina Faso », conclut Durmaz.

LSI AFRICA avec Reuters.

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