Par Francis LALOUPO
Sahel - Russie : L’incroyable appel à la « communauté internationale »
Surprise à l’Onu : au début de ce mois d’août, la Russie a appelé à un soutien mondial à la lutte contre le terrorisme au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Pourquoi ce désir soudain de réconciliation avec la communauté internationale ? En quoi ce changement d’orientation serait-il compatible avec l’agenda russe dans le Sahel ?
- Politique

Crédit Photo : AFP.
La séquence, inattendue, s’est déroulée ce 8 août 2025, au siège des Nations unies, lors d’une réunion du Conseil de sécurité. Tel un exécutant de missions impossibles, DmitriTchoumakov, représentant permanent adjoint de la Russie auprès de l’ONU, s’est adressé à l’auditoire pour solliciter « un soutien collectif, à l’échelle mondiale, en faveur du Mali, du Burkina Faso et du Niger, afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme ». Face à ses interlocuteurs déconcertés, l’orateur russe a expliqué que cet appel était nécessaire pour «une stabilisation à long terme de la situation dans ces pays devenus, malgré eux, l’avant-garde de la lutte contre les groupes terroristes transafricains ». Pur cynisme ? Lucide constat d’échec ? Improbable acte de contrition ?
Témoins indésirables du contrat AES-Russie
Dans son discours, le représentant de la Russie a impudemment éludé l’état des relations entre les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), dont il prétend défendre la cause, et cette communauté internationale à laquelle il soumet sa requête. Evacuée de son discours aussi, la trame suspecte qui a conduit les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger à rompre, avec fracas, tous les liens de coopération avec cette même communauté internationale qui, à divers niveaux, a apporté sa contribution à la résolution de la crise sécuritaire dans le Sahel. Dmitri Tchoumakovn’a pas jugé utile de rappeler les ruptures en cascade avec les différents pays « occidentaux », et notamment la France, les Etats-Unis, le Danemark ou la Suède… Pas un mot sur le renvoi du Mali de la Minusma(Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali). Rien sur le retrait de l’AES de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Sans compter les tensions orchestrées par les juntes avec les missions humanitaires et de développement, accusées d’ingérence et d’accointance avec les acteurs du terrorisme.
Difficile en effet d’avouer que dans les coulisses de ces opérations de ruptures, les agents du Groupe Wagner murmuraient à l’oreille des juntes la meilleure manière de renvoyer dans leurs foyers tous les témoins indésirables du discret contrat conclu par l’AES et la Russie. Argument propagé pour soutenir ce brutal rejet de la communauté internationale : une douteuse lutte contre « l’impérialisme » et « l’Occident ». Ces mesures spectaculaires ordonnées « avec effet immédiat », et donc sans précaution programmatique, masquaient un projet plutôt prosaïque : la confiscation du pouvoir par les juntes sahéliennes et la mise en œuvre d’un partenariat exclusif avec la Russie.
Dmitri Tchoumakov, dans son adresse au Conseil de sécurité de l’Onu, a estimé que «seuls les Africains eux-mêmes peuvent déterminer ce qui est utile ou non dans la lutte contre le terrorisme », avant de marteler, dans le même élan, que « les tentatives des puissances étrangères de s’ingérer dans les affaires de la région sont contreproductives ». Étrange discours où un appel à l’aide internationale est assorti d’une dénonciation des pourvoyeurs potentiels de cette aide. Tous suspectés d’une toxique ingérence…
Explication de texte, par un ambassadeur ouest-africain auprès des Nations Unies, sous couvert d’anonymat : « Ce que souhaite la Russie, c’est de se poser comme l’avocat des pays de l’Alliance des Etats du Sahel. Dans cette position, l’idée est de dire aux grands bailleurs de fonds de financer la lutte contre le terrorisme, sans toutefois sans mêler, en laissant la Russie demeurer la principale partenaire, choisie par ces pays, au nom d’une prétendue souveraineté ».
Les limites de la « solution russe »
Où en sont aujourd’hui les termes du partenariat entre les pays de l’AES et la Russie ? La sulfureuse équation de l’assistance sécuritaire et de l’exploitation des ressources naturelles par les ingénieurs russes, accuse désormais ses limites. En même temps, les juntes, alliées de Moscou, découvrent que la Russie n’a jamais été un partenaire majeur des programmes de développement, et moins encore un bailleur de fonds certifié. Dans les pays de l’AES, les discours propagandistes ne parviennent plus à masquer une cuisante réalité : l’irrésistible dégradation de la situation sécuritaire, cruellement aggravée par les crimes de guerre commis par l’armée et le Groupe Wagner – rebaptisé Africa Corps - à l’encontre de civils, notamment au Mali. Cinq ans après ses débuts, quelle aura été la valeur ajoutée de la coopération sécuritaire avec la Russie, dans la lutte contre l’extrémisme violent ? L’histoire retiendra que ce qui a été présenté comme la « solution russe » se traduit par un chaos sécuritaire et humanitaire. Pour l’essentiel, Moscou aura permis à des régimes putschistes de s’enraciner, grâce notamment aux stratégies informationnelles et à un dispositif sécuritaire prioritairement dédié aux tenants du pouvoir.
L’autre appel du Burkina Faso
C’est donc à cette même communauté internationale expulsée par les juntes, que la Russie demande aujourd’hui de s’engager de nouveau pour soutenir la lutte contre le terrorisme. Le discours de Dmitri Tchoumakovau Conseil de sécurité de l’Onu semble émaner d’un plan concerté entre Moscou et ses alliésdu Sahel central. En effet, fin juillet dernier à Genève, dans le cadre de la 6ème Conférence mondiale des présidents de Parlements, le chef du Parlement de transition du Burkina Faso, Ousmane Bougouma, parlant au nom de son pays, a, sans détour, lancé un « appel à une mobilisation internationale pour combattre le terrorisme » dans les pays de l’AES. Faisant l’éloge de la coalition internationale contre Daesh en 2014, il a vaillamment enfoncé des portes ouvertes, en affirmant : « la sécurité étant un bien indivisible, son éradication doit être une préoccupation mondiale. Aucun pays ne peut à lui seul vaincre le terrorisme ».
Un discours aux antipodes des diatribes du chef de la junte burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, qui n’a cessé, depuis deux ans, de désigner les communautés régionale et internationale, à l’exception notable de la Russie, comme les complices du terrorisme et les ennemis de sa « révolution progressiste populaire ». Peut-être découvre-t-il, timidement, que le « souverainisme » n’est pas l’ennemi de la diplomatie, voire d’une gestion pertinente et judicieuse des contradictions objectives et historiques…
Tout ceci intervient au moment où l’on observe des gestes de rapprochement entre les Etats-Unis et les régimes du Mali et du Niger. Il est encore tôt pour conclure à une forme de réconciliation des juntes du Sahel avec ladite « communauté internationale », tant il est vrai que les ressorts de ce soudain désir de renouer avec l’orthodoxie de la diplomatie internationale paraissent, pour l’heure, à tout le moins hasardeux. Quels pourraient être les termes fixés d’une implication rénovée des partenaires extérieurs dans la question sécuritaire au Sahel ? L’agenda particulier de la Russie serait-il compatible avec cettenouvelle donne ? En tout cas, le rétablissement d’une coopération sécuritaire « multilatérale » que la Russie et les juntes du Sahel appellent aujourd’hui de leurs vœux, ne saurait occulterla somme des contentieux politiques qui ont surgi depuis cinq ans dans la région ouest-africaine…
Francis Laloupo, Journaliste, Enseignant en Géopolitique.
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