ENTRETIEN
'Le digital au secours de l’Afrique', le dernier essai de Sophonie Koboudé
Il s’est fait connaitre avec son premier ouvrage « L’horizon africain » dans lequel il a pris le contre-pied des thèses néomalthusiennes à propos de la démographie africaine. Sophonie Koboudé, économiste et analyste au sein du thinktank L’Afrique des Idées, frappe à nouveau.
- Littérature
Dans son ouvrage « Le digital au secours de l’Afrique », préfacé entre autres par l’ancien Premier ministre du Mali, Moussa MARA, l’essayiste démontre en quoi le digital peut être un levier de développement pour le continent africain et propose des pistes concrètes pour sa mise en œuvre.
Le digital est un sujet qui prend de plus en plus de l’épaisseur sur le continent africain. Pourriez-vous laisser percevoir, à nos lecteurs, ce qu’est ce livre et pourquoi l’aviez-vous écrit ?
Avant de laisser percevoir ce qu’est ce livre, commençons par dire ce qu’il n’est pas. Il n’est ni une exposition systématique des cas d’usages du numérique en Afrique ni une théorie de l’économie numérique bellement élucidée dans tous ces contours, encore moins un catalogue des initiatives digitales sur le continent africain. L’ambition de ce livre est de tenter de montrer comment « ça » marche. Ça, quoi ? Le digital au service du développement ou plutôt les préalables et les effets d’entraînement de la digitalisation comme levier de croissance économique. Pour prendre une image footballistique, ce livre tente de décrire comment un terrain de football bien taillé et arrosé permet aux joueurs de mieux exprimer leur talent.J’espère avoir conduit cette entreprise le moins mal possible.
Est-ce que vous ne tombez pas dans l’écueil du «tout numérique» ou du «numérique sauveur» ?
Pas du tout. Je ne veux aucunement donner à voir une vision prométhéenne de la technologie ni tomber dans l’écueil d’une approche réductionniste de la question du développement. Le propos de ce livre n’est pas d'interpréter la question du devenir économique du continent africain comme l’absence d’un seul élément, le digital. Il s’agit de tenter de saisir comment le digital peut servir de support au développement. Mon ouvrage tente de décrire le nouveau monde que fait naître la troisième révolution industrielle pour en déduire les conditions spécifiques permettant de favoriser une véritable économie numérique. Des objectifs nobles se multiplient dans les plans décennaux de développement des gouvernements et institutions africains. De l’Agenda 2063 de l’Union Africaine aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unis, le cadre stratégique est fixé pour préciser l’Afrique que nous voulons dans les prochaines décennies. Industrialiser l’Afrique, créer des emplois, éradiquer la pauvreté, améliorer l’éducation, lutter contre le changement climatique, assurer la souveraineté alimentaire de l’Afrique, voilà autant d’ambitions qui ne peuvent pas être accomplies tant que les décideurs, les institutions et les entreprises continueront à méconnaitre le monde que fait émerger le digital. Par exemple, industrialiser l’Afrique au 21ème siècle ne doit pas évoquer des engrenages mécaniques, des tours de distillation ou des cheminées d’usines, mais des robots, des chaînes logistiques automatiques, des processus amont-aval efficients grâce à l’intelligence artificielle, des réseaux de capteurs, etc. Comme le dit si bien Michel Volle (2014), industrialiser aujourd’hui, c’est informatiser.
Justement, les défis économiques et sociaux du continent sont nombreux. Pourquoi les gouvernements africains doivent faire du digital une priorité ?
La réponse est cachée dans une phrase, pleine de bonnes intuitions et prononcée en 2014, du président ivoirien Alassane Ouattara : « L’Afrique a raté la seconde révolution industrielle, elle n’a pas le droit de rater la troisième ». Quand on scande les siècles au rythme des révolutions industrielles, on constate que chaque changement de système technique rééquilibre le jeu des puissances économiques. L’Angleterre a été incontestablement le grand champion de la première révolution industrielle. Avec le déploiement de la deuxième révolution industrielle, les Etats-Unis d’Amérique ont rattrapé et dépassé l'Angleterre. Le monde a été dominé par la triade constituée par l’Europe de l’Ouest, le Japon et les Etats-Unis d’Amérique. De 1910 à 1980, la triade représentait environ 60% du produit intérieur brut mondial en parité des pouvoirs d’achat. La troisième révolution industrielle a favorisé l’émergence des BRICS (acronyme anglais pour désigner le groupe formé par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud). Cette émergence a baissé le poids relatif de la triade. Selon la banque d'investissement Goldman Sachs, le poids des BRICS dans la croissance mondiale passera de 20 % en 2003 à 40 % en 2025. Dans le même temps, la triade perdra un tiers de sa puissance relative d’ici 2030. Voilà, la leçon d’or : chaque révolution industrielle est une occasion pour rattraper son retard. L’Afrique doit donc faire de son insertion dans la troisième révolution industrielle une priorité si elle rêve de devenir une puissance.
Concernant l’économie numérique, où en sont les pays africains ?
L’Afrique a incontestablement démarré sa transformation digitale. Les leapfrogs dans les télécoms, le mobile bankinget l’e-gouvernement en témoignent. Mais, il ne faut pas raconter des carabistouilles ! Il y a une vérité portée par les faits : l’Afrique n’a pas adopté la meilleure stratégie au début de ce siècle. Dans le classement The IT IndustryCompetitiveness Index 2020 qui mesure la capacité des pays à soutenir un secteur informatique robuste, il n’y a aucun pays africain dans le top 40. L’Afrique du Sud est le seul pays africain à figurer dans le top 50 en étant 47ème. Selon le classement de la Fédération Internationale de la Robotique, aucun pays africain ne fait partie des trente pays ayant le plus de robots par dix mille travailleurs. L’Afrique du Sud est le pays ayant le plus de robots par dix mille travailleurs en Afrique avec 28 robots par dix mille travailleurs ; la moyenne mondiale est de 74. La largeur de bande d’internet sur l’ensemble du continent est de 12 térabits par seconde (Tbps), ce qui est inférieur à la moitié de celle de la Chine (36 Tbps) ou de Singapour (37 Tbps). Au regard de la rapidité de connexion à internet, aucun pays africain n’entre dans le top 50 du classement qu’a établi le cabinet américain AkamaiTechnologies. En revanche, cinq représentants du continent s’illustrent dans le top 10 des pays ayant le coût de connexion le plus élevé. Dans plus de la moitié des pays de l'Afrique subsaharienne, le taux d’électrification estinférieur à 20% et atteint à peine 5% en milieu rural. La vérité soulevée par les faits est peut-être brutale mais elle désigne précisément où en sont les pays africains en matière de transformation digitale.
Comment peut-on améliorer et accélérer la transformation digitale du continent africain. Quel est votre « programme numérique » ?
Je n’ai pas de « programme », je ne suis candidat à rien (rires). Plus sérieusement. Je crois que la troisième partie de mon livre place quelques repères à l’horizon qui peuvent inspirer les décideurs. Une bonne stratégie de transformation digitale pour les pays africains doit s’articuler autour de trois grands axes : le développement des bases de l’économie numérique, l’informatisation des grands systèmes de la nation (qui fournissent un service public indispensable) et l’amélioration des incitations à l’endroit du secteur privé. Chacun de ces points a fait l’objet d’un long développement dans mon livre. Je laisse le soin au lecteur d’aller le consulter. Je crois profondément que ces propositions, mises en œuvre, pourront accélérer la transformation digitale du continent. Cela devient une urgence. Car, en Afrique, il y a besoin d’un équivalent de la Valley californienne, du Skolkovorusse, du Shenzen chinois, du Chennai indien. Pour cela, les bricolages et les petites phrases en bout de page des plans de développement nationaux ne suffiront malheureusement pas. Il faut changer la situation où les entrepreneurs sont des résultantes du hasard et passer à un environnement nourricier avec des politiques volontaristes qui réunissent les conditions de réussite des entrepreneurs.
Propos recueillis par LSI AFRICA.
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