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OPINION

Bénin - Nigéria : Une guerre économique contraire aux ambitions de la ZLECAF

C’est avec enthousiasme, que les africains, à l’idée d’échanger librement sur toute l’étendue du continent, ont accueilli l’entrée en vigueur du traité de la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAF), le 1er janvier 2021. Bien qu’étant à ses débuts, le projet a suscité une effervescence sociale. C’est avant tout le rêve, ô combien noble et symbolique du panafricanisme, jadis, porté notamment par Kwame Nkrumah, Ahmed Sékou Touré et l’égyptien Gamal Abdel Nasser, qui prendrait forme.

Crédit Photo: UA
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Image d'illustration.

La ZLECAF, en effet, vise à faciliter les échanges « Made in Africa » grâce à une élimination de 90% des taxes douanières des biens et services sur un horizon de 15 ans et une suppression totale au delà. Ce qui aura pour conséquence un accroissement du commerce intra africain, avec un marché de un milliard de consommateurs et un Produit Intérieur Brut (PIB) combiné de 2500 milliards de dollars américains. Aujourd’hui, le commerce intra africain est évalué à moins de 20% du commerce mondiale. La ZLECAF, engendrera, à long terme, une véritable zone de libre échange qui pourra être suivie par une instauration d’un tarif extérieur commun puis une union douanière. L’harmonisation des normes sur la libre mobilité des marchandises et des personnes représente un enjeu déterminant pour toute union économique définie.

A ce stade, les points de négociations doivent s’accentuer notamment sur le calendrier de la baisse voire suppression des droits de douanes. Même si la pandémie de covid19 ou encore l’instabilité sécuritaire peuvent justifier une prorogation du calendrier prédéfini, ces arguments peuvent également être soumis à des controverses. Car, il ne serait pas totalement absurde d’avancer l’idée que les besoins de financement nécessaires pour la gestion du choc macroéconomique induit par la crise sanitaire peuvent au contraire faire accélerer les négociations afin de pouvoir bénéficier des gains de l’échange.

Dans tous les cas, le véritable problème se trouve ailleurs. Depuis bientôt deux (02) ans la zone ouest africaine pâtit d’un différend frontalier et douanier entre le Nigéria et ses pays limitrophes notamment le Bénin. Le Nigéria avec 75% de la production intérieur brut de la CEDEAO et disposant d’un marché intérieur estimé à plus de 200 millions de consommateurs, représente un acteur économique de premier rang de la zone. Les décisions économiques qui émanent de ses gouvernants affectent significativement les pays de la zone, notamment ceux avec qui le Nigéria entretient des relations commerciales. La guerre économique que livre le Nigéria à ses voisins est une illustration parfaite de la contradiction avec les principes des accords de libre échange de la CEDEAO et jette le doute sur la mise en oeuvre effective de la zone de libre échange continentale.

La fermeture unilatérale des frontières par le Nigéria en 2019

Au lendemain de l’entrée en vigueur du traité de la ZLECAF, le 1er janvier 2019, le Nigéria a de façon unilatérale décidé de la fermeture de ses frontières terrestres avec le Bénin, le Caméroun, le Tchad et le Niger. Cette décision intervient dans le contexte de la lutte contre la contrebande du riz et des produits de volailes importés sur son territoire et des opérations transfrontalières illicites. Le Nigéria est un pays protectionniste et n’est pas à sa première tentative. Mais cette fois, la décision émane d’une volonté de protéger les investissements locaux notamment dans la filière rizicole. Le pays a engagé d’importants investissements dans la production du riz local mais le produit final subit une concurrence déloyale avec le riz importé du Bénin qui lui-même provient de l’Asie.

Avec son positionnement stratégique, le Bénin réexporte la quasi totalité de ses importations vers le Nigéria et sert également de pays de transit pour les opérateurs économiques du Togo, de la Côte d’Ivoire et du Ghana qui souhaitent atteindre le géant marché nigérian. Cette posture, lui a même valu le qualificatif d’«Etat Entrepôt» du Nigéria. La fermeture des frontières par le Nigéria a mis un coup de massue à la dynamique de l’activité économique de la zone qui subissait déjà de pleins fouets les conséquences du choc macroéconomique de covid19. Le Nigéria a enregistré sa deuxième récession en quatre ans. L’économie béninoise dont le commerce avec le Nigéria est estimé à environ 20% de son PIB n’est pas non plus épargnée, même si les discours officiels des autorités témoignent du contraire.  D’ailleurs, la CEDEAO a condamné cette décision unilatérale du Nigéria qui paralyse les échanges commerciaux dans la zone. «Cette fermeture a des répercutions profondes sur les échanges, les opérateurs économiques, sans oublier les consommateurs qui doutent aujourd’hui de notre communauté. Elle a aussi des conséquences financières catastrophiques.» Jean-Claude Kassi Brou, 

Le temps de l’espérance.

Face à cette situation, les autres pays dont les opérateurs économiques transitent par le Bénin pour atteindre le marché nigérian ne sont pas restés en marge des négociations. Le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Togo - par voie officielle ou par des mouvements citoyens ont joué leur partition pour tenter un désamorcement de la situation chaotique qui prévaut et un rétablissement de la libre circulation des biens et des personnes conformément aux principes régissant les accords de libre échange entre les pays de la CEDEAO. Rappelons que, même au Nigéria, cette mesure prise par le gouvernement fédéral ne fait pas l’unanimité. Par exemple, à Abuja, Al- Mujtaba Abubakar, Président de la chambre de commerce et d’industrie a déclaré : « La fermeture n’a pas arrêté la contrebande, entrainant une double perte pour la nation car elle a infligé beaucoup de dégâts aux petites entreprises qui dépendent du commerce transfrontalier pour leurs matières premières.». C’est ainsi, qu’après seize (16) mois de tensions, le Nigéria a finalement procédé à une réouverture «partielle» de ses frontières avec le Bénin. 

L’instauration unilatérale des taxes douanières par le Bénin en 2021, début juillet.

En réalité, le Nigéria continue de pratiquer un contrôle strict des marchandises au niveau de ses frontières parce que les deux pays n’ont pas encore trouvé un compromis sur les modalités d’ouverture totale. Cependant, les opérateurs économiques et les populations avaient l’espoir d’un retour à la normale, avec l’ouverture partielle des frontières. Au début de ce mois, et contre toute attente, le Bénin a décidé de façon unilatérale d’une nouvelle taxe douanière d’un montant de 9 millions FCFA, l’équivalent de 13 700 €, sur chaque camion passant par son territoire en direction du Nigéria. Cette décision des autorités béninoises surgit dans le cadre de la mise en cause de réseaux nigérians dans le trafic (transit) de la drogue au Bénin. Cette dernière évolution de la situation ne semble pas favorable à un rétablissement rapide de l’ordre entre les deux pays ; sauf si c’est une stratégie éco-diplomatique de l’Etat du Bénin pour redistribuer les cartes à la table de négociation avec son voisin, le Nigéria.

En général, ce conflit révèle d’une part la problématique du non-respect des obligations liées à l’appartenance à une communauté et d’autre part la question de la souveraineté d’un Etat quand ses intérêts sont menacés. Par leurs agissements, les deux pays renvoient surtout, un mauvais signal sur l’aptitude de la zone ouest africaine à appartenir à la zone de libre-échange continentale dans le respect des règles si déjà au niveau régional, il y a autant de discordes.

Beringer GLOGLO, Fondateur du think tank, Cercle des Jeunes Économistes pour l'Afrique

Commentaires (1)

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Derniers commentaires

GS
Gerard

D'une manière générale le développement du commerce entre pays repose sur la complémentarité des biens et services Objet des échanges. La première difficulté à ce niveau c'est que plusieurs pays sont dans le secteur agricole avec des produits de rente très peu diversifiés ce qui constitue un obstacle majeur à la réussite d'une véritable zone de libre échange.
Le second défi c'est qu'il faut mettre tout en œuvre pour éviter un détournement de trafic.
Le troisième défi il faut mettre en place un fonds d'investissement au niveau africain qui permet de transformer structurellement les économies dans une logique agrico-industrielle.
Les espoirs que suscitent la ZLECAF emportent sur les difficultés et défis et il faut que l'UA joue efficacement son rôle en vue d'un aboutissement heureux de la réforme.
Lorsqu'on est dans une zone chaque acteur ou pays doit respecter ses engagements et devoirs. L'histoire retient que le voisin de l'Est parfois surprend dans les mesures prises politiquement et qui freinent les échanges mettant en peril les objectifs économiques de tous.
La timide reprise des échanges doit aller jusqu'au bout pour rassurer les opérateurs de chaque pays.
Merci Ricardo pour ta plume sur ce sujet important.

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